De quoi ce projet est-il le nom ?
Pas le nom qu’il se donne : faire des économies, améliorer la gestion et rationaliser les moyens. L’objectif est autre, à la fois économique et politique. Il s’agit en réalité non pas d’économiser mais de réduire les moyens du service public pour favoriser plus encore la pénétration des intérêts industriels et financiers dans la production et la diffusion de l’information et des programmes. Mais il s’agit aussi de concentrer les centres de décisions et les placer sous la tutelle directe ou indirecte du pouvoir politique. Il s’agit enfin à terme de faciliter la privatisation de supports d’information et de culture par les grandes sociétés et les milliardaires qui possèdent déjà 93 % de la presse écrite, 55 % des médias audiovisuels et 45 % des réseaux sociaux.
La droite et son extrême militent depuis longtemps pour la privatisation de l’audiovisuel public, mais ce n’est pas aussi simple à réaliser et risque de priver les médias privés actuels d’une manne publicitaire inaccessible en partie aujourd’hui aux médias publics. D’où une stratégie alternative éprouvée dans d’autres secteurs publics.
Par exemple pour réduire les dépenses publiques de santé et affaiblir l’hôpital afin de permettre aux secteurs privés d’exploiter ses segments les plus rentables, les gouvernements ont réduit les recettes en multipliant les exonérations de cotisations sociales et en les fiscalisant pour les placer sous la tutelle budgétaire de l’Etat. L’audiovisuel public s’est vu priver avec Nicolas Sarkozy de recettes publicitaires et avec Emmanuel Macron, qui avait qualifié le service public de «honte », de la redevance audiovisuelle, le faisant ainsi dépendre de l’impôt donc du bon vouloir de l’Etat. Dans les deux cas les salariés et les téléspectateurs n’ont plus voix au chapitre et les personnels mis sous tension voire sous pression des donneurs d’ordre nommés par le pouvoir politique.
Holding, en Français : tenir ou posséder
L’examen du projet présenté une première fois en 2023 et reporté pour cause de dissolution puis de motion de censure est à nouveau mis sur la table par la ministre de la Culture Rachida Dati.
« C’est un carnage que prépare le projet de holding de l’audiovisuel public » déclare l’intersyndicale de France Télévisions (CGT, CFDT, SNJ, FO, Sud), à l’initiative de plusieurs jours de grève réussis. Le projet prévoit : la création d’une holding, « France Médias », au 1er janvier 2026, qui chapeauterait France Télévisions, Radio France et l’INA devenues des filiales, à l’exclusion de France Médias Monde et Arte. Une direction hyper centralisée donc. La holding serait dirigée par un.e président.e désigné-e par l’Arcom l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) et serait également PDG des différentes filiales. Martin Ajdari, le nouveau président de l’Arcom, choisi par Emmanuel Macron a été condamné en 2020 pour des contrats passés sans appel d’offres. Prometteur…
Deux nouvelles filiales de France Médias seraient créées : une filiale « Ici », qui regrouperait les salariés des stations régionales de France 3 et ceux des antennes de l’ex-France Bleu. « Plus aucun lien pour ces salariés, donc, ni avec Radio France, ni avec France Télévisions, mais un rattachement direct à la maison mère France Médias » dit l’intersyndicale. Une filiale France info, regroupant les salariés de France Télévisions et de Radio France qui travailleraient sur les différents supports (radio, télé, numérique) et seraient regroupés dans le même lieu, ce qui, selon le projet «optimiserait la coordination éditoriale au quotidien, le développement de la polyvalence des journalistes et la mise en commun des moyens». « Bref, résume l’intersyndicale, économies, dérégulation sociale, polyvalence, dégradation brutale des conditions de travail, fin de la pluralité éditoriale, tels sont les ingrédients du breuvage de Madame Dati, goûté par Delphine Ernotten, actuelle PDG de France Télévisions …).
Le projet de formater les esprits
Chacun sait à quoi sont destinées les filiales dans l’univers néolibéral : à fragiliser les personnels avec de nouveaux statuts au rabais et peu protecteurs et à ouvrir au capital privé l’exploitation des activités les plus rentables, en laissant à l’investissement public ce qui l’est moins ou pas du tout. L’objectif inavouable étant de produire des informations et des programmes compatibles avec les ambitions des géants du monde industriel et financier. Dit plus brutalement : façonner des opinions capables de consentir aux politiques favorables aux plus riches quand bien même elles porteraient atteinte aux atteintes intérêts du plus grand nombre. Pour le modèle capitaliste néolibéral c’est ça ou la mise en péril de leur domination
La riposte
En fragilisant l’audiovisuel public et en créant les conditions de son appropriation par certains secteurs privés, Emmanuel Macron crée un boulevard pour un pouvoir autoritaire, voire autocrate qui serait exploité par l’extrême droite si d’aventure elle parvenait au pouvoir. C’est ce que Sophie Binet a évoqué en apportant l’engagement de toute la CGT lors de la soirée de soutien à l’audiovisuel public le 31mars à la Bourse du travail à Paris.
La mobilisation des personnels des radios et télévisions publiques doit dès maintenant se renforcer de l’engagement de toutes celles et ceux qui sont attachés à la liberté de l’information, de l’expression artistique et culturelle, à la vie démocratique.
Pascal Santoni