La vérité si je mens
S’ils mentent c’est précisément parce qu’ils ne veulent surtout pas que la vérité de leur projet émerge des débats. Il y a notamment le refus de rechercher de nouvelles ressources pour le financement des retraites et de la protection sociale. Seules les dépenses sont mises en avant et de façon dramatique. Car, qu’il s’agisse du rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), des analyses de tous les syndicats et de l’avis de nombreux économistes, le déficit envisagé dans le pire des cas à l’horizon 2030, de l’ordre de 12 milliards, soit 3 % du budget de dépenses des retraités ne justifie en rien l’urgence d’une telle réforme.
Quant aux autres arguments : ce serait une réforme de justice sociale, de progrès, de résorption des inégalités entre salariés et entre les femmes et les hommes, les débats ont fait la démonstration qu’au contraire la réforme allait aggraver les injustices, creuser les inégalités et constituerait une régression sociale inédite.
Sauver la retraite par répartition ?
Mais le plus gros des mensonges reste la dernière justification : la réforme serait nécessaire pour sauver le système de retraite par répartition, voire le modèle social Français. Rappelons que lors de la précédente réforme, la retraite par points, le président Macron avait affiché ses préférences pour la capitalisation. A peine élu il invitait en octobre 2017 le géant américain des fonds de pensions, BlackRock, et le récompensait pour « l'avoir aidé à préparer sa réforme des retraites ». C’était à ce point une priorité pour Emmanuel Macron que la réforme a été annoncée lors d’un Conseil de ministres en pleine crise du Covid alors qu’il y avait bien d’autres urgences à décider.
La protestation suscitée par la réforme envisagée a été telle que la réformé bien que votée par l’Assemblée Nationale n’a pu être adoptée.
Une réforme pour faire peur
Après l’échec de cette première tentative d’abattre notre système de répartition, la priorité pour Emmanuel Macron c’est encore la réforme des retraites ! Alors que la crise énergétique se développe, les prix explosent, la guerre en Ukraine fait peser de lourdes menaces sur la paix en Europe, il y aurait urgence à décider de reporter l’âge donnant droit à la retraite de deux ans et d’allonger à 43 annuités la durée de cotisations.
L’objectif masqué de ces réformes est de livrer aux fonds spéculatifs les 163 milliards d'euros de réserves nettes des caisses de retraite. Difficile dans ces conditions de convaincre de l’utilité des réformes. La séduction ayant échoué il s’agit de faire peur dans un climat lui-même déjà anxiogène, pour inciter les futurs salariés à se tourner vers les assurances privées afin de compléter leurs futures retraites. Beaucoup de salarié.e.s craignent en effet de ne pas pouvoir travailler jusqu’à 64 ans, voire plus s’ils n’ont pas 43 annuités. On sait que 25 % des hommes les plus pauvres sont déjà morts à 62 ans contre 6 % des plus riches. Qu’en sera-t-il à 64 ans ?
Priorité aux besoins des marchés et du capital
Mais ce projet de réforme qui manifeste une véritable indifférence à la souffrance et à la vie de millions de nos concitoyens, n’est pas seulement injuste et inefficace. Il traduit la volonté de réduire toujours plus les dépenses publiques pour consacrer les ressources de l’Etat au financement des aides de toutes sortes au capital des grandes sociétés et aux grandes fortunes. Il s’agit d’écraser tout ce qui bride l’avidité des marchés, d’accélérer la marchandisation des activités rentables des services publics, car Emmanuel Macron s’est fait le héraut d’une politique néolibérale pour qui la liberté du marché prime sur tout : le travail, la santé, l’éducation, la retraite…
Le modèle social Français s’est organisé autour d’un Etat, qui bien que soumis aux exigences des grandes sociétés, s’efforçait d’arbitrer entre les intérêts du capital et ceux du travail en permettant un minimum de redistribution. Avec la nouvelle forme de capitalisme, le néo-libéralisme, il n’en est plus question. L’Etat doit être au service des marchés et de ses principaux acteurs, les riches actionnaires des grandes sociétés. C’est le sens de la création par Emmanuel Macron du Conseil National de la Refondation. En référence au CNR de 1945 il s’agit d’effacer les conquêtes de la Résistance, notamment la Sécurité sociale et fonder notre société sur les exigences d’un marché tout puissant.
Cette société-là nous n’en voulons pas !
« Les vieux dans la misère, les jeunes dans la galère, de cette société-là nous n’en voulons pas ! » Au-delà des projets de réforme ce mot d’ordre bien connu des manifestants, dénonce la finalité des politiques à l’œuvre depuis des années. Une majorité du peuple a compris que les promesses du néo-libéralisme se traduisent par une aggravation de tous les maux de notre société, au point de susciter la défense du modèle social Français malgré ses défauts. Le conflit sur les retraites a révélé un enjeu de civilisation qui a transformé la colère et la résignation en combattivité. Face à cette situation Emmanuel Macron n’hésite pas à donner un tour autoritaire à la mise en œuvre de sa politique.
Le mouvement social exceptionnel que nous vivons toutes et tous est un rempart contre les dérives autoritaires du néo-libéralisme et le moyen d’imaginer une société autre, une société où il fera bon travailler, vivre et bien vieillir.
Pascal Santoni