PASCALE FAUTRIER (avatar)

PASCALE FAUTRIER

Auteure et professeure

Abonné·e de Mediapart

171 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 novembre 2015

PASCALE FAUTRIER (avatar)

PASCALE FAUTRIER

Auteure et professeure

Abonné·e de Mediapart

Nouvelle introduction à une vie non fasciste 2

Je cite ici et commente les principes énoncés par Foucault dans son texte "Introduction à une vie non fasciste" : dans un premier temps, je ne reprends QUE les points que j'approuve inconditionnellement, et mes commentaires sont écrits en caractères gras ; on trouvera en post scriptum les deux points écartés, également introduits par un * et également commentés.

PASCALE FAUTRIER (avatar)

PASCALE FAUTRIER

Auteure et professeure

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

INTRODUCTION À LA VIE NON-FASCISTE [Préface de Michel Foucault à la traduction américaine du livre de Gilles Deleuze et Felix Guattari, L'Anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie. Dits et Ecrits tome III texte n° 189 (1ère Edition 1994), p. 133-136.]

" [...] On pourrait dire que l’Anti-Œdipe est une Introduction à la vie non-fasciste.

Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de vie quotidienne :

* libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante ; PAR EXEMPLE : LES OLIGARCHIES SE DEFINISSENT TOUTES PAR LEUR ACCAPAREMENT DES RICHESSES ET LEUR DESTRUCTION SYSTEMATIQUE DE TOUTE FORME D ORGANISATION COLLECTIVE QUI NE SERVE PAS LEURS INTERETS IMMEDIATS. MAIS ELLES SONT MULTIPLES DANS LEURS FORMES ET LEURS IMPLANTATIONS ET ENTRENT EN CONFLIT LES UNES AVEC LES AUTRES. CES CONFLITS DECLENCHENT DES GUERRES QUI ONT UN DOUBLE FRONT : à l'intérieur d'occuper les peuples à s'entre-déchirer (xénophobie, racisme) plutôt qu'à combattre leurs ennemis propres ; à l'extérieur, d'accroître leur zone d'influence. Les oligarchies peuvent se confondre avec des intérêts NATIONAUX - et le rôle de la vraie gauche est de dénoncer cette collusion pas de l'encourager.

* faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale ; PAR EXEMPLE N ACCORDER DE VALEUR QU A UNE SEULE FORME D ACTION POLITIQUE, le Parti, revient aujourd'hui à faire le jeu de l'anti-politique ; INVERSEMENT des formes d'action dispersées voire "sauvages' doivent être considérées comme une action politique (y compris l'art).

* affranchissez-vous des vielles catégories du négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune), que la pensée occidentale a si longtemps sacralisées comme forme du pouvoir et mode d’accès à la réalité. BEMOL FREUDIEN A CETTE PROPOSITION FOUCALDIENNE : on ne s'affranchit du fantasme dominant de la castration qu'à condition de valoriser le manque COMME TEL - c'est-à-dire le désir, plutôt que l'avidité à le satisfaire à tous prix (d'accord pour dépasser l'impasse binaire de la castration, mais pas en NIANT  le manque de tout le monde : hommes, femmes,enfants...). C'est ici la différence entre la pensée (pessimiste et mystique) de Pasolini (ou de Lacan ou de Sartre, qui se rejoignent sur ce point et se disjoignent du "positivisme moral" deleuzo-foucaldien) et celle de Foucault, avec en toile de fond leur divergence d'interprétation sur Sade (controverse ESSENTIELLE). Au fond la question est celle de la puissance et de l'immortalité : le fantasme de l'ENS CAUSA SUI, l'Être séparé, cause de soi, et surpuissant dans son action qu'il nous faudrait rejoindre dans son innocence : cet Être n'existe pas (qu'il soit Dieu ou un Surhomme). Et n'existe pas davantage sa dissémination jouissante comme salut immanent : je préfère sur ce point mille fois le pessimisme bataillien : le moteur de l'être est une énergie cosmique et pulsionnelle qui traverse les corps mais aveugle et destructive : dépensière de vie. Nous sommes effectivement séparés physiquement et en conscience (par la réflexivité de la conscience) donc nostalgiques d'une unité IMPOSSIBLE à réparer - dont la vie pulsionnelle nous donne le goût ; nous sommes mortels et donc en DEUIL de l'Être-Tout éternel - dont seules les épiphanies du désir PENSE (de la jouissance pensée) peuvent nous donner le goût et l'expérience vécue. Ce deuil, c'est le "manque" : il est vécu et le penser est un impératif éthique. Le penser à partir des configurations physiologiques les PLUS SINGULIERES - en-deça même, certes, les universaux dégagés par Freud (désir oedipien, fantasme de castration). Freud n'impose pas ces universaux, il les constate - et l'objectif de la psychanalyse (comme de la tragédie ou du récit) est de dissoudre leurs fixations nocives non de les reconduire (quel malentendu!) Le manque est le corollaire dynamique de la pulsion : le supprimer comme catégorie de compréhension, c'est se condamner à ne plus rien comprendre à l'activité pulsionnelle! Et l'annuler en tant qu'elle peut faire sens (être valorisée) pour un individu : qui d'autre? Le "corps social"? Mais c'est c'est cela précisément le fascisme : la dissolution des recherches individuelles libres du sens à chercher (davantage qu'à trouver, certes) des actions et contre-actions pulsionnelles. Le fascisme EST la dissolution (l'empêchement organisé, Benjamin a dit des choses là-dessus) de tout récit singulier au profit d'un Méta-récit "désindividualisé"!! (On aura compris que je n'adhère pas aux thèses de l'Anti-Oedipe - même si je suis (très) intéressée par le décentrement opéré : faire circuler davantage ce qui relève du pulsionnel transindividuel, social, et les fixations libidinales individuelles).

* n’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire ; CE DESIR JE L'APPELLE L AMOUR OU LA FOI : NE JAMAIS RENONCER A L'AMOUR même si et SURTOUT si il est impossible. C'est-à-dire ne jamais renoncer à l'accomplissement de l'Être vécu dans toute sa plénitude atemporelle (tout en sachant que ce ne sont que des épiphanies, et que toujours, à nouveau, ça manque - à l'être mortel et fini que nous sommes chacun pour soi).

* n’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique ; L ACTION POLITIQUE COMME L'AMOUR COMME LA FOI - entendus comme une prière d'Être dans la lucidité de la finitude et de la mortalité (du manque) et non comme la vénération d'une Idole (l'imbécile Dieu anthropomédiocrisé ou le Chef de Parti, ou un Soi objectivé, figé, immortalisé), EST UN INTENSIFICATEUR D ETRE (c'est-à-dire de jouissance d'être pensée). On peut appeler ça aussi une DIGNITE.

* ne tombez pas amoureux du pouvoir." PAS D IDOLATRIE : aucun Parti, aucune Raison, aucune Religion, aucune Institution, aucun Individu divinisé ne mérite la vénération amoureuse que seule l'épiphanie heureuse d'être avec (l'aimé, l'ensemble toujours ouvert des êtres dignes qui luttent chacun pour la justice, c'est-à-dire pour leur propre DIGNITE et celle des autres, conre la destruction des êtres et du monde générée par l'accaparement et l'avidité capitalistes).

Michel Foucault Pascale Fautrier (sourire : c'est plus clair comme ça?)


J'ai supprimé les deux points suivants introduits par des * (que je commente en MAJUSCULES et après les majuscules) :

* n’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse des "droits" de l’individu tels que la philosophie les a définis, l’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est désindividualiser par la multiplication et le déplacement les divers agencements. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de "désindividualisation" ; LA SOCIETE TOTALITAIRE NEO LIBERALE isole les individus et les fragmente en groupes sociaux incapables de dialoguer entre eux ; elle DETRUIT toute velléité de construire des lieux de survie individuelle et collectif en-dehors de ses flux transversaux d'intérêts (y compris les états) ; PIRE : elle convainc les individus d'objectiver leurs désirs POUR MIEUX LES ASSUJETTIR AU FLUX MARCHAND ; en conséquence, l'urgence n'est pas de "désindividualiser" ni de combattre les groupes et les états, mais de défendre le désir comme tel (non objectivable), le désir non marchand, le "commun" de la défense de l'égal accès aux richesses, le lien gratuit, la dépense individuelle et collective A PERTE : donc de célébrer l'absoluité de chaque désir (de chaque vie), son caractère SACRE - au-delà de toute objectivation et de toute justification (y compris celle du "mode de vie esthétique"). La lutte pour les "droits", dans les termes universalistes de la philosophie des Lumières retrouve dans ce contexte de lutte pour la dignité une brûlante actualité et une utilité politique - droits syndicaux, droit au travail ou au revenu universel, droit de regard citoyen sur l'exploitation des richesses naturelles et humaines etc.*

* Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire, mais nomade ; D ACCORD POUR LA DIFFERENCE, LE NOMADISME, LE MULTIPLE mais je me méfie du POSITIF sans envers, sans manque : il va comme un gant au nihilisme consumériste, parce qu'il justifie le rêve de toute-puissance (de règne sans partage de l'avoir : fasciste) qui le sous-tend. Je suis pour L'UNITE du chemin tracé par le désir sans relâche poursuivi comme doit être poursuivi le mystère de sa signification (ne pas troquer l'ombre de l'être pour la proie meurtrière de l'avoir). Bref, je suis pour LES HISTOIRES que les chemins tracés vers l'être racontent, je suis pour leur ECRITURE, et pas pour leur effacement entropique, ni pour le story telling uniformisant et totalitaire (désindividualisé, désingularisé) à quoi conduit le délire de surpuissance positive. Le nihilisme entropique du consumérisme EST L'ENNEMI ABSOLU DE LA DIGNITE DONT L'ART EST L EXPRESSION, L'AFFIRMATION du chemin (signifiant : les petits caillous des élucidations narratives ou conceptuelles) d'être (sans Fin : ces chemins sont singuliers et le monde humain n'est rien d'autre que leur enchevêtrement sans cesse défrichant de nouveaux espaces et de nouvelles temporalités).
On voit bien que c'est par cette brèche ambigüe de la pensée de Foucault : la "positivité" de son dandysme, qu'ont pu s'engouffrer ses récupérateurs néo-libéraux : et il y en a!!!!!

Ces commentaires sont la suite de ma recension du magnifique film de Vincent Dieutre sorti sur les écrans le 2 décembre 2015, Orlando ferito : http://blogs.mediapart.fr/blog/pascale-fautrier/100214/orlando-ferito-de-vincent-dieutre-nouvelle-introduction-une-vie-non-fasciste (j'ai publié également un autre texte sur ce film : ) Ces commentaires s'intègrent à un travail que je poursuis et qui devrait aboutir à un livre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.