Vu hier soir à l’Odéon les Fausses Confidences mises en scène par Luc Bondy. La pièce, taillée sur mesure pour la diva Huppert, parfaite dans le rôle, tord d’une façon particulièrement symptomatique le sens initial de la pièce de Marivaux.
Araminte, une riche veuve roturière est courtisée par un Comte racé et affable mais vieillissant, et lui préfère un jeune intendant épris d’elle autant que de ...sa haute position sociale, et qu’un valet a introduit dans sa maison par des moyens douteux. Avant et après la Révolution (la pièce est entrée en 1793 au répertoire du Théâtre-Français), la victoire finale de l’amour sur la fausseté mondaine sonne comme le manifeste d’une bourgeoisie aspirant à devenir la maîtresse de son destin : l’auteur de la Vie de Marianne, aristocrate libéral, a fait ici d’une pierre deux coups, en chargeant une femme (Araminte) d’incarner sa double préoccupation d’émancipation sociale (politique) et féministe. La transposition de l’intrigue dans le décor (laid) minimaliste d’un appartement du Sixième arrondissement au début du XXIème s. transforme étrangement la diva (cinquantenaire) en prédatrice narcissique et dominatrice d’un jeune homme dont les « ratés » sont, si j’ose dire, éloquents : le comédien, sans doute ému, par l’aura de sa partenaire, en perd son texte. Le dernier tableau donne à penser (on voudrait croire qu’il est PENSE) : les deux corps d’Araminte et de son jeune amant gisent terrassés par une audace érotique dont ils se révèlent incapables, et qui est du reste annihilée d’avance par la perspective du mariage bourgeois. L’effroi essoufflé de la diva en proie au désir laisse place à un silence de mort, mal camouflé ou plutôt révélé par la musique criarde qui recouvre le tout. Rideau sur l’érotisme. Ce n’est plus l’essor révolutionnaire de la bourgeoisie montante qu’incarne Araminte, mais l’avidité castratrice et frigide d’une classe sociale qui réduit le monde (et les hommes) à l’état de figurants, à peine moins remarquables qu’une collection de paires de chaussures (symbole bien connu de la castration). Du même coup, le propos féministe de Marivaux sert ici de révélateur au fantôme qui hante le gouvernement Hollande, certes pas le communisme, mais la domination sans partage d’une classe sociale dont l’hystérie consumériste à bout de souffle est fantasmatiquement incarné à l’Odéon par une bourgeoise féministe du VIème (la diva Huppert) cherchant à abolir la différence des sexes pour mieux régner en Mère supérieure de sa propre gloire vaine, à peine décoiffée par des « partenaires » insignifiants. Là où, pour l’aristocrate libéral Marivaux, émancipation sexuelle et sociale allaient de concert, le féminisme et la volonté de déconstruire les stéréotypes de genre (seule politique originale du gouvernement Hollande) paraissent ici servir la domination de classe et l’asservissement, l’assujettissement le plus sordide des individus à leurs besoins strictement sociaux. Du coup l’amour disparaît du tableau : reste l’effrayant silence de mort d’un érotisme fétichiste qui traite les corps comme des paires de chaussures achetées à vil prix. La leçon à en tirer? L'émancipation féministe n’a de sens libérateur qu’à exiger en même temps l’émancipation sociale. Un gouvernement ne peut à la fois émanciper les femmes et contribuer à livrer la société entière à la servitude salariée au seul profit d’une ultra-minorité dominante collectionnant les chaussures = travaillant au devenir-chose, c’est-à-dire au devenir-cadavre des êtres, de la nature, de l’amour.