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Billet de blog 5 février 2015

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Les intellectuels et un nouvel espace de débat politique à gauche : les chantiers d'espoir

Invitation à Alain Badiou et Frederic Lordon de poursuivre la controverse dans le cadre des Chantiers d'espoir : je reproduis ma réponse à un correspondant qui m'interpellait à propos de mon dernier billet. Cher X,  je suis d'accord avec vous que mon modeste billet n'est certainement pas (et ne veut pas être) au niveau de l'œuvre philosophique d'Alain Badiou.

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Invitation à Alain Badiou et Frederic Lordon de poursuivre la controverse dans le cadre des Chantiers d'espoir : je reproduis ma réponse à un correspondant qui m'interpellait à propos de mon dernier billet. Cher X,  je suis d'accord avec vous que mon modeste billet n'est certainement pas (et ne veut pas être) au niveau de l'œuvre philosophique d'Alain Badiou.

Je répondais (http://blogs.mediapart.fr/blog/pascale-fautrier/020215/alain-badiou-les-rouges-et-lunanimisme-fasciste) strictement au papier que le philosophe a lui-même commis dans Le Monde - et dont je suis toute prête à accepter que sa pensée le nuance. Notamment sur cette question de l'universalisme. Cependant ma divergence à ce niveau demeure. Je ne crois pas à un régime politique capable de dépasser la guerre des identités. J'ai conscience que la philosophie de l'évènement rejoint pour une part (mais pour une part seulement) l'intuition que j'esquisse dans mon texte (je ne suis pas philosophe), et qui est davantage bataillienne (je donnerai en lien ici ma contribution "Politique de Georges Bataille" à un livre collectif à paraître). D'autre part, je n'ai jamais dit que Badiou était fasciste parce qu'il était antiparlementariste : je l'ai au contraire placé dans la lignée, et seulement sur ce plan, du refus des anarcho-syndicalistes de participer à la vie politique sous la Troisième république. Et c'est ce refus que je récuse.

Je crois par ailleurs qu'il faut essayer de prendre en compte ce réel qu'est le niveau d'énonciation des controverses publiques : sur ce plan, mon billet visait moins à polémiquer avec le philosophe Badiou, qu'à renforcer l'unité organique du pôle de radicalité qui se dessine à la gauche du PS (dessin en pointillé  : cela n'existera que si les citoyens impulsent le processus). Mon interpellation avait au fond le même sens que celle adressée il y a quelque temps à Frédéric Lordon.

Cela n'a pas été compris, je m'en explique  : leur dire que au-delà des divergences (antiparlementarisme pour Badiou, sortie de l'euro pour Lordon), il est temps de faire bloc sur l'essentiel : que cela est une question de vie ou de mort pour la possibilité même de penser une alternative au monde qui nous est fait - sans parler même de l'effectivité pratique et des modalités d'action de la critique (mais cela est lié, vous le savez, Marx l'a démontré : sourire).

Réponse de mon correspondant (probablement un élève du philosophe), réclamant que je tienne compte de ceci : " l'importance des notions d'universalisme ou même de vérité à notre époque. Notre époque est l'héritière de ces grands sophistes dont déjà Platon parlait autrefois. Il y a des enjeux épistémologique, psychologique et politique qui sont liés tous ensemble. Admettre qu'il y a de l'universel c'est mettre en avant une certaine posture qui consiste à sortir de sa propre subjectivité narcissique pour aller à la rencontre d'autre chose que soi-même. Or le capitalisme aujourd'hui, parce qu'il partage certaines prémisses d'un certain libéralisme, crée des enfants solipsistes incapables de grandir. Le monde, c'est ce qu'ils voient, c'est ce qu'ils pensent. Au niveau social c'est catastrophique, quand on peut voir la solitude sociale qu'il y a c'est effrayant. Badiou le dit dans ses livres, et plus et plus récemment dans son séminaire à Aubervilliers : "il y aura toujours des identités". Il y a plusieurs types d'identités : celle qui considère la différence comme une négation d'elle-même et celle qui considère la différence contre non-contradictoire. L'une est fasciste, l'autre ne l'est évidemment pas. C'est ça que vous n'intégrez pas je pense. Mais cette union dont vous parlez, Badiou en parle justement, en disant qu'elle n'est pas, au moins pour un temps, impossible. Le problème n'est pas l'universalisme. Mon propos est de dire que notre époque, malade, est construite sur des présupposés anti-universaliste et sophistiques dont les conséquences sont catastrophiques".

Je reproduis en partie cette réponse anonyme (mon correspondant veut qu'elle le reste) parce que son souci de rendre justice au travail intellectuel de Badiou (qui n'était pas en cause, je le répète) me semble intéresssnt et encourageant pour la possibilité d'un fructueux dialogue. Je réponds seulement ceci : je ne crois pas qu'il y ait  "plusieurs types d'identités : celle qui considère la différence comme une négation d'elle-même et celle qui considère la différence contre non-contradictoire". Je ne crois pas à la dissolution des identités narcissiques ou collectives autrement que dans cet espace spécifique qu'est l'art.

Pour des raisons psycho-politiques (sous-jacentes à "notre histoire" telle que je la décris dans mon livre jusque dans ses errements totalitaires), je crains que, s'il est souhaitable en effet que nous aspirions à sortir de nos "subjectivités narcissiques", il est assez douteux que nous y parvenions en quelque sorte collectivement, et c'est tout le sens de mon scepticisme : non pas "libéral", comme vous m'en accusez, mais réaliste, d'un réalisme psychologique si vous voulez. J'énonce paradoxalement ce scepticisme en convoquant la notion de "foi" : nous souhaitons sortir de nos "subjectivités narcissiques" mais nous n'y arrivons pas, nous "croyons" y  parvenir. Saint-Paul le disait, sourire : "Je fais le mal que je n'aime pas, et je ne fais pas le bien que j'aime" (je cite de mémoire le Nouveau Testament).

Mais plus généralement, sur la question de l'expression politique des intellectuels, il est important de s'entendre sur un point capital :  le constat de  deux niveaux d'énonciation des discours, strictement scholastiques ou bien tous publics, c'est-à-dire à proprement parler politique (s'adressant aux citoyens). Il est nécessaire d'être vigilant sur les différences d'effet pragmatique des discours selon les champs d'expression. Alain Badiou comme Frédéric Lordon semblent en être convaincus comme je le suis moi-même : les intellectuels "spécifiques" doivent condescendre dans l'arène publique. Mais du coup, ils doivent accepter aussi que leurs propos soient commentés dans leurs effets politiques immédiats et non dans la prise en considération des subtilités d'une pensée. Sur ce plan, strictement politique, mon désaccord avec Alain Badiou reste entier : 1. l'anti-parlementarisme me paraît contre-productif dans le moment que nous vivons de montée du FN en France et de renaissance de la gauche radicale en Grèce et en Espagne ; 2. le "communisme" ne peut être invoqué comme horizon eschatologique révolutionariste pour refuser l'alliance politique unitaire de la gauche radicale et des écologistes (les Chantiers d'espoir). Mais la réponse de son élève est encourageante : Alain Badiou évoque la possibilité de l'unité, et je veux croire d'ailleurs que l'excellente émision à laquelle il participe sur Mediapart est l'expression de ce souci.

Les Chantiers d'espoir que j'invite mes lecteurs à rejoindre (chantiersdespoir.fr) visent à unifier la gauche radicale et les écologistes sans gommer les différences ("identitaires", sourire), et mieux, en mobilisant les citoyens dans leurs diversités au-delà des appartenances ou non-appartenances de parti, pour qu'ils prennent en main partout en France l'élaboration d'un programme de gouvernement alternatif de gauche dans des réunions locales simultanées : une date doit être annoncée.

Syriza + Podemos en quelque sorte. 

Cette initiative vise notamment à prévenir le type de division mortifère qui conduit à la catastrophe politique qu'est le refus du KKE (un des partis communistes grecs) de gouverner avec Syriza, sous couvert de désaccord sur la sortie de l'euro.

Je réitère donc mon invitation à Alain Badiou et à Frédéric Lordon de discuter ces questions sur cette base minimale d'accord : la nécessité de l'unité. Poursuite de la controverse donc (notamment sur l'attitude à adopter par rapport à la question de la dette publique), mais UNITE D'ACTION.

Poursuite de la controverse dans ce cadre large des rencontres Chantiers d'Espoir : Alain Badiou, Frédéric Lordon et bien d'autres sont invités  à y participer par des textes publiés sur le site (chantiersdespoir.fr : un espace va être ouvert à cet effet que je suis chargée avec d'autres d'animer). Il serait bon que ces publications aient lieu simultanément sur d'autres médias : Mediapart, L'Humanité, Regards, Politis etc. Précisons à toutes fins utiles que ces interventions d'intellectuels permettraient de nourrir le débat, non de le clore : il s'agit au contraire de l'ouvrir largement, d'y participer largement, tous ensemble.

Post-scriptum  : je réponds à un autre intervenant sur le fil de mon dernier billet qui taxait de "naïveté" ma position éthico-politique : Cher X, j'ai en effet la faiblesse de croire (notez que je tiens à la faiblesse avouée et au croire)  j'ai la faiblesse de croire que oui, l'expression nuancée ou pathétique (ou ironique) des singularités, et l'effet d'empathie ou d'intelligence que cette description produit, est un "courant de vie" porteur d'autre chose que la guerre, l'accaparement des richesses ou le désir de promotion sociale. C'est un autre type de richesse, je ne dis pas qu'elle est aussi nourrissante que le pain, mais que sans elle la vie est moins vivante, même avec du pain (ou du riz) : cette richesse est la dignité des vies, leur honneur. Bref que la vie humaine ne se réduit pas à des calculs de probabilité statistiques. Elle se vit dans des conflits situés, et penser (la politique) revient à se demander de quelle manière il est possible d'envisager les bras de fer les moins meurtriers entre des positions matériellemet inconciliables. Vous prétendez en libéral que vous êtes que l'expansion impérialiste du mode de production capitaliste industriel a permis une certaine élévation du niveau de vie mondial dans le passé, et qu'il continuera (les indicateurs actuels vont-ils en ce sens : vous aurez du mal à le démontrer,  sans parler du risque écologique et de la crise de la rareté des ressources énergétiques). Mais considérer que l'injustice sociale, la misère, la mort, la guerre, sont des dommages collatéraux mineurs d'un tel développement, voilà précisément ce que je trouve proprement intolérable dans la pensée "libérale". Je déteste les théodicées : ces systèmes de pensée où la misère et le meurtre sont considérés comme des accidents  nécessaires. Je ne vois pas l'intérêt de troquer ce confort de la pensée religieuse de l'ordre, contre votre ordre "rationaliste"  ou qui se veut tel : il faudrait dire "économiste". Vous avouez assez honnêtement que vous ne saisissez pas vous-mêmes le mécanisme de l'expansion totalitaire du capitalisme (j'ajoute : totalitaire). Je préfère à votre piétisme onfortable qui s'ignore lui-même tous les cris de révolte : ils  s'énoncent à partir d'une foi en une justice advenant dans l'histoire : mais assumer cet énoncé, c'est rendre justice tout de suite aux vivants, pas dans un monde futur. Et il vaut mieux être un croyant qui rend justice qu'un cynique qui ne tient compte des souffrances et des morts qu'en termes comptables de profits et pertes. La foi dont je parle ne s'accommode pas des théodicées : s'il y a un dieu, elle le somme de s'expliquer. Et ce n'est pas parce que l'explication ne vient pas, ce n'est pas parce qu'aucune divine réponse n'est audible, qu'elle renonce à pleurer et à prier.   Bien cdlt à vous, pf

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