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Billet de blog 5 décembre 2014

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La gauche n'est pas morte : Frédéric Lordon, en serez-vous?

Oui, Frédéric Lordon, mille fois oui, "la gauche ne peut pas mourir". Et mille fois oui, la distinction droite-gauche est vitale, non seulement parce que c'est un rempart contre le "ni droite ni gauche" de l'extrême-droite, mais parce que oui, ce dont il s'agit est le nécessaire dépassement du règne désastreux et sans partage du capitalisme.

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Oui, Frédéric Lordon, mille fois oui, "la gauche ne peut pas mourir". Et mille fois oui, la distinction droite-gauche est vitale, non seulement parce que c'est un rempart contre le "ni droite ni gauche" de l'extrême-droite, mais parce que oui, ce dont il s'agit est le nécessaire dépassement du règne désastreux et sans partage du capitalisme. Mais une petite musique d'arrière-fond inquiète, une sorte de dandysme paradoxal, quelque chose comme : Vous auriez tort d'avoir raison avec moi.

Moi aussi j'aime bien le très long article de Frédéric Lordon paru dans Le Monde diplomatique en septembre et qui circule sur le net (http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/LORDON/50752 ) : il possède les habituelles qualités de son auteur, et d'abord l’affirmation ferme d'une rupture fortement argumentée avec la bien-pensance TINA. Mais un soupçon de posture happy few,  quelque chose comme : Que personne ne me suive, laisse sur sa faim. Je me demande toujours : qui veut-il écraser de sa rhétorique brillante et guerrière? A qui s'adresse-t-il au juste? On sent une volonté farouche d'occuper le champ de l'opposition de gauche à soi seul, de jouer des coudes pour écarter les importuns suiveurs, incapables de respirer l'air raréfié des cimes où se tient, front contre front, le virtuose pourfendeur économiste de la "souveraineté du capital". On est presque effrayé d'avoir à déranger un tête-à-tête aussi sacré, et on tremble de s'introduire en tiers dans le règlement de comptes entre universitaires dûment surdiplômés, règlement de comptes trans-générationnel en l'occurrence, avec l'internationaliste Badiou pour ne pas le nommer, à qui Lordon semble disputer le leadership institutionnel du gauchisme radical chic des hautes sphères.  Mais comme surdiplômée, je le suis aussi, et que je n'aime pas trop les positions de surplomb, je vais y aller de mon grain de sel.

Sur la gauche, rien à dire, je me tue à le répéter, c'est le sujet et l'objet des Rouges : non, la gauche ne peut pas mourir, oui, elle a tout l'avenir devant elle, si l’humanité a un avenir, et le capitalisme, oui, s'il continue de régner sans partage, nous condamne à mort. J'ai trop bataillé ces derniers temps contre le "ni droite ni gauche" qui favorise une extrême-droite s’invitant à gauche, pour ne pas être en tous points d'accord également sur ce point. Quant à l'internationalisme des colloques universitaires, et autres voyages intercontinentaux pour gauchistes subventionnés, je n’en suis pas soupçonnable : c’est au-dessus de mes moyens de prof-de-collège-qui-a-du-mal-à-payer-son-loyer-parisien. Je n’en suis pas moins heureuse de constater que Frédéric Lordon, justement alerté de la dangerosité des postures néo-nationales de gauche, tient à s’en démarquer : oui, explique-t-il, le cadre d’analyse des méfaits du capitalisme est nécessairement international, tandis que les moyens de regroupement pratique de l’opposition de gauche ne peut avoir lieu, au moins dans un premier temps, que dans un espace où le débat public est politiquement constitué, à savoir le cadre national. On ne lui objectera pas que l’embryon d’une gauche radicale européenne, qui ne trouve guère à exister au Parlement européen, a tout de même réussi à commencer à échanger quelques idées, ni que le mouvement des indignés, trop faiblement structuré (un peu moins à présent en Espagne, et même peut-être un peu trop : sourire), est un mouvement international. On n'évoquera pas non plus les révolutions arabes ni sudaméricaines, lesquelles ont un peu tendance ces derniers temps à tourner la tête à quelques-uns de nos dirigeants de gauche : mais ne leur jetons pas la pierre, les temps sont durs, ils ont besoin de se remonter la pendule : que ce ne soit pas dans le déni de la réalité locale française, c'est tout ce qu'on leur demande.

De fait, et j’en suis d’accord, une autre souveraineté (la souveraineté proprement démocratique qui s’oppose à la « souveraineté du capital » et au chantage permanent qu’il fait à la société exigeant ses exorbitants dividendes sous couvert de « responsabilité ») ne peut naître que dans un cadre national.

Il est également évident que les organisations politiques traditionnelles (qu’on disait autrefois du « mouvement ouvrier », PS et PC) ont failli à défendre la souveraineté démocratique par leurs incessantes tractations, lesquelles ont rendu possible la situation actuelle : une fausse gauche défendant une politique que même la droite n’a osé appliquer (les ordonnances Macron détruisant le droit du travail : voir à cet égard les précisions du socialiste Gérard Filoche ici même : http://blogs.mediapart.fr/blog/gerardfiloche/031214/intervention-sur-le-projet-d-ordonnance-macron-au-bn-du-ps-mardi-2-dec-2014, lequel n'est pas un gauchiste). Je suis d’accord également pour dire que la gauche, entendue au sens d’une perspective assumée de dépassement du capitalisme, est un concept rassembleur qui laisse ouvertes les modalités de rupture (Lordon en énumère quelques-unes). Si le PS soutenant le gouvernement de droite Hollande-Valls n’est plus de gauche (et en ce sens, Jean-Luc Mélenchon a eu raison de dire que la gauche dont il se veut le représentant, ça ne peut pas englober la droite du PS), néanmoins, j’y admettrais quant à moi les sociaux-démocrates de gauche keynésiens : c’est-à-dire ceux qui croient encore à la relance par l’investissement public, c’est-à-dire les sociaux-démocrates de gauche (Socialistes affligés, gauches diverses du PS). Je n'y crois guère moi-même, mais il faut les accueillir, à condition qu’ils s’opposent plus sérieusement qu’ils ne le font au gouvernement Valls-Hollande : par exemple, en refusant les ordonnances Macron, et en appelant à l’unité de toute la gauche contre ces ordonnances.

Bref,  la détestation des partis prônée par Lordon, tout en expliquant qu’il est lui, contrairement aux gauchistes alter-mondialistes sus-nommés, conscient « des conditions concrètes de l’action concrète » fédérant les « luttes effectives et non rêvées » qui se mènent dans le cadre national, confine pour l’instant au charmant « double bind ».

Le diable sait si je me méfie des partis, autant de leur dégénérescence oligarchique « social-démocrate » que de leur paranoïa obsidionale centraliste « stalinienne » (c’est l’autre sujet des Rouges). Mais, cher Frédéric Lordon, voilà justement que le Front de Gauche, maladroit cartel d’organisations jusque-là, prenant acte de notre défaite politique annoncée, cherche, par un sursaut de vitalité que j'espère salvateur, un autre type d’organisation et de militantisme politique : il s’apprête à lancer un appel à former partout, au-delà des frontières du FDG, à partir des associations mouvementistes sociales et écologistes et des "luttes locales réelles qui se mènent", des comités citoyens et des assemblées citoyennes, qu’il s’agira d’abord de fédérer dans une quinzaines de villes, puis nationalement. Toute la gauche aurait vocation à s'y rassembler par la base et les "appareils politiques" ne semblent plus vouloir (ni pouvoir) y faire obstacle. L'objectif politique est d'écrire ensemble (grâce à la rédaction de cahiers de propositions politiques) un programme de gouvernance alternatif, et d'exiger l'élection d'une assemblée constituante pour réinventer la démocratie.

Alors question : Frédéric Lordon, accepterez-vous de descendre de votre ciel d’universitaire tout-voyant pour participer à cette nouvelle aventure politique de la gauche ? A défaut de quoi, votre plaidoyer se révélerait n’être qu'une posture purement incantatoire et, finalement égotiste, le repli facile de celui qui a raison contre tout le monde, attitude mentale si répandue... parmi les universitaires.   

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