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Billet de blog 8 avril 2014

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Inspection.

Aujourd'hui j'ai failli étrangler une inspectrice de l'éducation nationale. Ce qui a été dur surtout, c'est de m'en abstenir pour les raisons que vous devinez.

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Aujourd'hui j'ai failli étrangler une inspectrice de l'éducation nationale. Ce qui a été dur surtout, c'est de m'en abstenir pour les raisons que vous devinez.

Illustration 1

Après m’avoir sèchement fait remarquer que mon langage n'avait pas été assez châââtié, que j’avais commis la faute impardonnable d’employer un subjonctif à la suite d’après que, et qu’elle n’avait pas compris à l’issue de mon cours quelle « compétence » de mes élèves j’avais cherché à « valider», elle a bien voulu condescendre  à m'expliquer que dorénavant, au lieu de dicter une synthèse du cours, ce serait plus judicieux de leur faire découper les images d’une BD pour ensuite leur demander de les coller dans le bon ordre sur leur cahier. Là j’ai craqué une première fois et j’ai solennellement déclaré que l’étude de la BD était contraire à ma religion de la littérature, que mes convictions intimes, profondes et personnelles m’interdisaient absolument de faire étudier ce genre mineur à mes pauvres élèves qui n'ont certes aucun besoin de moi pour s'adonner à ce vice impardonnable (j'avoue, j'y suis allée fort dans l'ironie provocatrice : peine perdue elle a tout pris au premier degré). Elle s’est récrié, au bord de la suffocation, que si c’est comme ça, elle s’en va tout de suite et que le dialogue est impossible avec moi, que, de toute façon, c’est dans le « programme officiel » et que je dois « faire ce qu’on me demande même si ça ne me plaît pas », que c’est une honte de considérer que les BD de Maus, par exemple, ne sont pas de l’ââârt. Elle est d’ailleurs revenue sur le chef-d’œuvre de ce dernier consacré à la Shoah, en expliquant que le fait que les Juifs y soient représentés sous forme de « rats » avait particulièrement « parlé » aux élèves de troisième d’une collègue BDiste très bien notée par l’administration pénitentiaire dont cette dame est la salariée zélée. Je me suis accrochée à la table pour ne pas lui demander ce qu’elle entendait par là. Mais c’est plus tard que j’ai vraiment, mais alors là, vraiment craqué. La « réunion  de dialogue» en fin de journée, pendant laquelle l’inspectrice a monologué, a duré une interminable heure. S’adressant à nous, les profs de français, comme autant de débiles à qui il faut insuffler l’art de l’acquisition des « compétences », je cite de mémoire : « ce  n’est pas la connaissance qui compte, mais la validation de la compétence, c’est-à-dire la mise en application de la connaissance » (échantillon de la langue de bois estampillée Education nationale), au milieu de sa fastidieuse logorrhée truffée d’indigentes références aux « classiques » et destinée essentiellement à manifester sa « hauteur de vue », comprenez : à justifier à la fois son pouvoir sur nous et son misérable salaire légèrement supérieur aux nôtres, condescendant à expliquer aux crétins que nous sommes, même pas foutus de passer es concours administratifs pour devenir inspecteurs, obligés encore pour cela à affronter la meute des élèves, bref condescendant à nous expliquer, elle qui s'est heureusement tiré de ce pétrin en passant les dits concours, comment on fait un bon cours et comment c’est une mission sainte d’enseigner (cette fois encore, et ça a été très dur aussi, je me suis très fort retenue à la table, pour ne pas lui demander pourquoi elle ne s’y collait pas, au lieu de faire le flic des autres),  elle a, donc, finalement,  à un moment quelconque de son exposé (difficile de se repérer dans ce fatras enroulé autour de la répétition exaspérante du mot « compétence », comme le serpent mantra de la pédagogie autour du corps enseignant (mais nouveaux Laocoons, nous le vaincrons (d’où la célèbre phrase de Virgile : « Je crains les inspecteurs même lorsqu’ils apportent de l’avancement »))), bref elle a bredouillé un soi-disant vers d’un soi-disant poème (« Le nom de l’auteur m’échappe ») sur le soleil ni la lune qu’on ne peut regarder en face [sic],  pour expliquer que nous devons nous mettre au diapason d’un monde où « l’image est omniprésente », il faut nous servir de tous les « outils » (ah les «zoutils», autre talisman de notre technocrate zzzélée), notamment de cinéma, pour nous aider à « illustrer » et à « approcher » les « obscurités de la poésie » [sic], et à, enfin, les sentir, pour qu’enfin, « il n’y ait plus de littérature » [sic] (quel ennui, n’est-ce-pas, la littérature, et dans un sourire complice, elle nous a avoué, c’était bon de se mettre à notre portée, qu’elle est comme tout le monde, les pièces de théâtre, sur le papier, c’est ennuyeux, elles prennent leur sens grâce à la mise en scène, n’est-ce-pas, raison pour laquelle il ne faut pas hésiter à montrer aux élèves des captations de pièces – sauvés de la littérature, disais-je, grâce à l'image : chouette, on est ENFIN DEVANT LA TELE), bref de l’image, de l’image, (elle en tressautait d’enthousiasme et d'aise sur sa chaise comme un quarteron de généraux en retraite) pour qu’ «IL N'Y AIT PLUS DE LITTERATURE », disait-elle, mais seulement LA VIE (la vraie vie donc, je veux dire, entendons-nous bien : la vie devant la télé) ! Là, donc, j’ai vraiment craqué, c’est sorti tout seul, je l’ai interrompue et j’ai presque crié : « ‘Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement’, La Rochefoucauld ». Ca a jeté un froid (La Rochefoucauld n’est ni au programme de 6ème, ni de 5ème, ni de 4ème, ni de 3ème). Ma proviseure m’a flinguée du regard : demain, c’est sûr, ça va me valoir  une engueulade en règle pour non-respect de la hiérarchie (Ah, le respect de la hiérarchie de l’Education nationale = les prolétaires, je veux dire les profs, écrasés par une administration, je veux dire une armée, de jeanfoutres mieux payés juste exprès pour encadrer c’est-à-dire fliquer les premiers). Mais après, il y a eu plus savoureux encore. L’inspectrice s’est surpassée dans la langue de bois technocratique faussement démocratique et tout à fait totalitaire. Elle a eu cette phrase merveilleuse, que j’ai soigneusement notée : « On fabrique des esprits libres et pas des clones formatés ». Fabriquer la liberté. Tout est dit. Comme quoi l'oxymore ne fait pas la poésie, ou alors seulement la poésie des imbéciles, c’est-à-dire des gardiens de l’ordre (faussement démocratique et parfaitement totalitaire). Naturellement « ceci n'est pas »... un texte autobiographique. (Mais, ouf ! ça fait du bien !)

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