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Billet de blog 10 déc. 2022

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Venger « ma race » ?

Le Nobel d'Annie Ernaux : une « victoire collective », oui. Mais de quel « collectif » ? Littérature, politique, immanence, transcendance, Antigone, Protée etc...

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Race de Caïn, au ciel monte, 

Et sur la terre, jette Dieu ! 

Baudelaire, Abel et Caïn 

Le discours d'Annie Ernaux : son Nobel, "une victoire collective", oui. Encore faut-il savoir de quel "collectif" on parle.

Certainement pas celui de "ma race", expression qui s'entend dans un contexte littéraire (métaphorique), mais doit être interrogée dans un contexte argumentatif. Le "nous" que j'ai employé dans Les Rouges, est le "nous" égalitaire, d'une implacable exigence personnelle et collective, capable de dissoudre toutes les loyautés organiques. Ce"nous" ne fait jamais passer aucune "loyauté de parti", et encore moins familiale, clanique, raciale, nationale, je l'ai assez montré avec Les Rouges, au-dessus de cette loi indissolublement morale et politique. Personne n'est exempt, à chaque instant, pour chaque mot, chaque geste, de la responsabilité morale et politique de l'égalité et de la justice : rien ne justifie jamais les moyens qui violent cette fin.

Le "nous" n'est pas la représentation d'un "collectif", par exemple "les dominés", c'est le nom de l'exigence d'égalité et de justice. 

Cette exigence ne naît pas nécessairement, pas automatiquement, de l'expérience de la domination. Elle ne peut naître que de la réflexion sur l'expérience (ou pas), et donc de sa "transcendance". L'exigence de justice "transcende" l'expérience, elle en constitue un dépassement, elle n'est pas une loi "immanente" de l'expérience.

Le récit de l'expérience est tout sauf immanent à l'expérience - y compris le réalisme clinique d'Ernaux. Aucun récit ne se situe hors de portée de l'examen critique : l'exigence d'égalité est aussi une exigence de démythification. Aucun langage n'est "transparent" : la métaphore peut être aussi démythifiante, démystificatrice que son absence ; l'absence de métaphore peut induire un autre mythe, celui du "petit fait vrai".

On n'en a jamais fini avec les mythes. La preuve : "ma race" est un résidu mythique et métaphorique, comme le "gaulois" aux yeux bleus chez Rimbaud. 

Ce qui est intéressant chez Antigone, ce n'est pas la très douteuse piété familiale, c'est l'égalité : que tous, amis et ennemis, le frère loyal et le frère déloyal, aient droit de cité, en l'occurrence d'être enterrés en citoyens de la ville, sans avoir les yeux mangés par les vautours. La loi de l'égalité passant au-dessus de l'ostracisme "national" ordonné par la loi de la guerre. Antigone est éternellement vivante, parce qu'elle s'oppose éternellement à l'opportunisme politique étatique et national des Créon. Et de leurs valets-flics qui se prennent pour "Protée". C'est confondre servir la soupe, ou le retournement de veste, avec la philosophie d'Héraclite.

En attendant, ces chiens de garde du régime, qui prônent "l'être changeant", on les voit toujours se baigner dans le même fleuve du pouvoir en place. Il est vrai que le fleuve en question fluctue de l'extrême-centre à l'éloge "esthétique" des meurtres fascistes, et se convertit sans état d'âme à l'ostracisation "nationale-européenne" des non-blancs non-chrétiens sommés de se soumettre au créono-crétinisme bolloro-arnaudo-macronien, même pas parlementaire, du paradoxal libéralisme conservateur. Bon appétit mes petits messieurs, et cap au pire.

En attendant, vous ne "nous" volerez pas "notre" victoire : oui, le Nobel d'Annie Ernaux est une victoire de l'égalité et de la justice contre votre guerre de tous contre tous. 

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