
Alors oui, Alain Badiou, réinventons le communisme après "l'échec historique" des communismes étatiques (la position du Philosophe semble avoir évolué depuis deux ans.....). Mais en désaccord total sur deux points avec cet article du Monde (http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/18/alain-badiou-voter-ou-reinventer-la-politique_5112737_3232.html ) :
1 (primo). Comment le Philosophe, habituellement historiquement bien informé, peut-il écrire la contre-vérité suivante : "On peut appeler " parlementarisme ", en tant que forme d'Etat dominante dans ce qu'on nomme l'Occident, une organisation du pouvoir d'Etat qui, [...] assure l'hégémonie partagée des conservateurs et des réformistes et élimine, sur ses bords, toute prétention étatique sérieuse des fascistes et des communistes."
Comment est-il possible d'oublier que c'est bien ce "parlementarisme" qui a interdit le Parti communiste français, déporté les Juifs de France - et interné les étrangers : les "indésirables" dans le vocabulaire de l'époque, en collaborant avec les nazis? Comment oublier que ce sont des députés français qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain, c'est-à-dire à la collaboration étroite avec l'Allemagne nazie? Cette manière de mettre dans le même sac "fascistes et communistes" rappelle étrangement, quoique le propos soit diamétralement inverse (mais justement = même logique), la lettre de campagne de Laurent Joffrin d'hier (voir ci-dessous). Dans les deux cas, celui d'A. Badiou et celui de L. Joffrin et de la Cause freudienne, déclarer fascistes et communistes "exclus" du système parlementaire "démocratique" (le second pour porter aux nue le dit système, le premier pour le dénigrer), c'est accréditer la fable selon laquelle le PUF (Parti Unique de la Finance) ne serait pas capable de s'accommoder parfaitement du vote d'extrême-droite : le récent vote Trump est pourtant le démenti récent de cette affirmation : ce personnage composite et son âme damnée S. Bannon, sont la preuve de la collusion possible entre une idéologie clairement d'extrême-droite et le "libéralisme" économique.
Ces affirmations hasardeuses et démenties par les faits visent, dans le cas d'A. Badiou, à précipiter avec une dose certaine de perversité assumée, la crise actuelle de la "politique" - sans proposer d'autre issue que l'appel à la mobilisation très léniniste d'une avant-garde éclairée de "militants" chargés de, je cite " discuter le principe [du communisme] dans toutes les situations populaires du monde, et qu'alors, comme le proposait Mao, 'nous rendions au peuple, dans sa précision, ce qu'il nous donne dans la confusion'. C'est cela, réinventer la politique."
Finalement on n'est pas si loin de cet autre "éclairage" élitiste althusséro-lacanien (la Cause freudienne (Jacques-Alain Miller), convoquant ce soir à la Mutualité un mitinge antifasciste à 30 euros : B.-H. Lévy et J.-C. Cambadélis, les têtes d'affiche, sont assurés de ne pas y voir de pauvres... Formidable au passage, d'invoquer le souvenir du considérable Congrès pour la défense de la culture de juin 1935 avec une telle affiche : sans vouloir comparer les talents, ce serait cruel (Malraux, Gide, Aragon, Breton....). On remarquera ce qu'il y a d'absurde pour la cause dite freudienne à inviter pour soigner la maladie ceux qui l'ont inoculée à la population (mais le lacanisme est plein de docteurs Knock) : le premier intervenant (Bernard-Henri Lévy), à force de criminalisastion intellectuelle de toute véritable opposition politique au PUF, le Parti Unique de la Finance, le second, à titre de liquidateur revendiqé du parti socialiste d'Epinay (http://www.ouest-france.fr/politique/cambadelis-predit-la-fin-du-parti-socialiste-d-epinay-4896873), et donc de l'union de la gauche (ce qu'il explique aussi dans cet interview) et donc de la gauche. Les deux ont rallié E. Macron, le premier officiellement, le second officieusement (secret de polichinelle). Et c'est dans la logique de ce qu'ils ont fait depuis près de 40 ans : rendre impossible une vie démocratique véritable, c'est-à-dire un espace politique où serait considérée comme pertinente une pluralité de projets politiques. Qui ne se souvient de la fameuse déclaration de Mitterrand ralliant le PUF en 1983 ("Il n'y a pas d'autre politique possible" que la rigueur), et de ce qu'il en est résulté : la réappartition dès 1984 de cet officine quasi-disparu, le Front national, dont les succès se sont précisément nourris de la liquidation de la gauche orchestrée par Bernard-Henri Lévy très officiellement, et, plus officieusement (l'air sombre et insalubre des couloirs à manoeuvres), par Jean-Christophe Cambadélis, l'Enfumeur en chef du PUF (longtemps taupe à gauche, il a fini par faire son coming-out).
Quant à la puissance invitante, l'Ecole de la Cause freudienne (en réalité : lacanienne, version extrême-centre libéral, avec un mot d'ordre : "investissez et réinvestissez, mais le fric, pas la politique"), on ne s'étonnera pas que l'ancienne atmosphère des années 60 althusséro-lacaniennes (je parle de l'Ecole Normale supérieure - c'était avant l'énarchie -, et de Saint-Germain-des-Près) produise finalement une chanson qui n'est que le décalque, le négatif ou le positif, comme on voudra, de l'anti-parlementarisme badiousien... D'un côté (A. Badiou), on vous explique : la politique, c'est le contraire du parlementarisme, et de l'autre côté, on agit : on fait réellement en sorte que le parlementarisme soit purifié de toute contestation du PUF - et donc de toute politique. Dans les deux cas, la même chanson (L. Joffrin est trop jeune pour être althusséro-lacanien mais il a bien reçu la leçon de ses aînés qui appartiennent aux conseils d'administration des journaux qui le salarient) que communisme et fascisme sont également exclus du système.
Mais revenons à A. Badiou le léniniste. On remarquera au passage combien sa conception élitiste et centraliste de la politique est finalement extrêmement proche de celle de J.-L. Mélenchon (mais je consacrerai un papier entier, quand j'aurai du temps à perdre, à la savoureuse comparaison Badiou-Mélenchon, autres jumeaux antagonistes, charybde et scylla de la pourtant si nécessaire recomposition politique de la "vraie" gauche - vrai sujet) (je précise que je vote et appelle à voter pour Jean-Luc Mélenchon, ce que la suite donne à entendre :oui à la constituante!) (pauvre de nous : cf. les rouges).
2. (deuxio) Comment A. Badiou peut-il ignorer que J-L Mélenchon propose la convocation d'une assemblée constituante précisément pour prendre acte de la crise du parlementarisme? Mais je sais pourquoi : cela lui est impossible de se projeter dans la situation qu'ouvrirait une telle élection, parce que cela l'obligerait à y reconnaître ce qu'il nomme de la "vraie" politique (cf. dernier numéro de Contre-courant). L'élection d'une constituante ouvrirait précisément le "parlementarisme" à une situation qui serait proprement révolutionnaire. A. Badiou le sait, et c'est la faille argumentative de sa pseudo-démonstration. Du coup, avec la plus totale mauvaise foi, il écarte cette proposition de tout débat.
Mais la conséquence de ce déni badiousien de la vraie politique que contient cette élection (voir mon post sur le débat à 11) est que tout son article du Monde apparaît pour ce qu'il est : une sorte de coquetterie intellectuelle venant colorer opportunément d'un peu de rouge le journal qui porte haut les couleurs de Macron. C'est-à-dire qu'A. Badiou légitime dans la forme (la publication de ce papier) la "comédie" démocratique (voir l'excellent article de Lordon : https://blog.mondediplo.net/2017-04-12-Macron-le-spasme-du-systeme ) qu'il prétend dénoncer sur le fond : il ne peut certes pas s'empêcher d'ajouter son grain de sel médiatique à cette campagne présidentielle qu'il prétend abhorrer.
En attendant le godocommunisme "hypothétique", A. Badiou fait son tour de piste iconoclaste et sert finalement complètement les intérêts macroniens - en adoptant même une partie de son discours : ni droite ni gauche (ce qui est aussi assez mélenchonien ; N. Arthaud entrant récemment dans la danse de cette rhétorique où un mot, le mot "gauche", fait office de bouc émissaire d'une faillite politique). Une seule politique possible, dit Macron.... Et A. Badiou aussi, puisque la politique du Godocommuniste, chacun le sait qui l'a un peu lu, et Le Monde respire, c'est l'impossible. Juste une hypothèse pour occuper la bourgeoisie étudiante en attendant les postes. Bien étrange manière de "faire revenir les Rouges", puisque tel était le titre de son dernier (à ma connaissance) papier dans... Le Monde en janvier 2015.