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Billet de blog 21 septembre 2010

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Mobilisation de la société civile ?

Pétition et rassemblement du 12 septembre pour la libération de Sakineh Mohammadi-Ashtiani : leçon de choses.

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Pétition et rassemblement du 12 septembre pour la libération de Sakineh Mohammadi-Ashtiani : leçon de choses.

Signataire de la pétition pour la libération de Sakineh initiée en Italie par Daniel Salvatore Schiffer (sur le site de La Repubblica, pétition en ligne également sur le site de La Règle du Jeu), je me suis rendue dimanche 12 septembre Place de la République en compagnie de mon fils, pour me joindre au rassemblement à l’appel de SOS Racisme, de la Règle du Jeu, Ni putes, ni soumises, le magazine Elle en faveur de la libération inconditionnelle de la jeune femme iranienne, et contre la condamnation à mort par lapidation qui pèse sur elle.

Il y avait peu de monde, au point que la circulation automobile de la place de la République n’était pas du tout troublée par notre présence. Une simple estrade avait été placée sous la Marianne des Droits de l’Homme.

Auteure de deux films et d’articles sur Simone de Beauvoir, la raison de ma présence à ce rassemblement était motivée par la conviction que la protestation la plus ferme doit être opposée au régime iranien qui condamne à mort des femmes pour adultère, et des hommes pour homosexualité, et qui pratique pour ces soi-disant crimes (et d’autres) la lapidation à mort.

J’avais bien entendu ici et là quelques objections à la pertinence de cette campagne de presse orchestrée de main de maître par Bernard-Henri Lévy, et je n’étais pas insensible à certaines d’entre elles.

En premier lieu, le soutien très médiatisé de Carla Bruni-Sarkozy à cette pétition, mis en scène d’abondance par le magazine Elle et par Libération, n’avait pas manqué d’occasionner chez moi un mouvement de recul et même une hésitation. Dans le contexte politique marqué depuis deux mois par le Discours de Grenoble du Président de la République, il me semblait qu’une telle signature tendait, sur le plan de la communication, à dédouaner Nicolas Sarkozy de la politique d’expulsion engagée depuis à l’encontre des Roms. Cependant, j’ai malgré tout signé cette pétition parce qu’il apparaît clairement que cette manœuvre médiatique a échoué.

Ayant participé à la manifestation du 4 septembre et signé l'appel contre la politique du pilori, ma présence même, au moins à mes propres yeux, indiquait clairement que telle n'était pas en tout cas mon intention.

On m’objectait d’autres arguments qui me paraissaient plus faibles : le caractère « people » de la manifestation – certes, l’activisme féministe du magazine Elle, ne m’a, en effet, jamais paru évident… Mais peut-on et doit-on restreindre le soutien à une initiative publique lorsqu’elle est juste et sur quels critères ? On m'évoquait aussi le souci de certains soutiens actifs à Israël de diaboliser un peu plus l’Iran par cette action, pour préparer l’opinion à une offensive militaire internationale contre ce pays – mais ce pays ne se diabolise-t-il pas tout seul, et n’est-ce pas d’ailleurs le fond de sa politique que cette auto-diabolisation ? (cependant l'ignominie actuelle du régime iranien ne justifierait en rien une intervention armée dans ce pays, et on peut se réjouir des récentes déclarations d'Obama qui écartent cette option). Ou bien encore on me faisait remarquer qu’il y a d’autres injustices dans le monde, d’autres condamnés à mort parfaitement innocents : n’y a-t-il pas des condamnations à la peine capitale par lapidation en Arabie Saoudite, et pourquoi, me disait-on, personne ne fait de manifestations place de la République ces derniers jours contre de tels agissements? A ma connaissance, la Chine, l’Iran et l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis, le Pakistan, l’Irak, sont en effet les 6 pays où, dans l’ordre du classement 2008 que j’ai trouvé sur le site d’Amnesty international, les exécutions capitales sont les plus nombreuses. Il est important de souligner que l’Iran est en seconde position devant l’Arabie Saoudite, et les Etats-Unis en quatrième position, que le vol qualifié ou la prostitution sont passibles de la peine de mort en Chine, et qu’en Arabie Saoudite," tout acte considéré par le gouvernement et les tribunaux comme représentant la « corruption sur terre » est un crime grave : adultère, fornication, sodomie, sorcellerie, apostasie ". Quant à la lapidation à mort, c’est une des méthodes particulièrement ignoble de peine capitale pratiquée par les pays suivants (qui observent la charia) : le Nigeria, l'Arabie saoudite, l'Iran, le Soudan,l'Afghanistan, le Pakistan, les Émirats arabes unis, le Yémen.

Rappelons que la condamnation à mort de Amina Lawal au Nigeria en 2002 avait également été très médiatisée, et que personne n'avait rien trouvé à y redire.

Rappelons également qu’en Iran, comme l’expliquait Shirin Ebadi sur Mediapart le 14 septembre 2010, une vingtaine de femmes et quatre hommes sont passibles de la même peine, dont un jeune homosexuel de dix-huit ans, Ebrahim Hamidi, et une journaliste Shiva Nazarahari, accusée de « conspiration contre dieu ». Citons aussi le cas de Nasrin Sotoudeh, arrêtée pour « propagande contre l’Etat » il y a quelques jours, parmi les nombreuses arrestations arbitraires pratiquées par ce pays.

De l’analyse de ces faits, et à condition qu’ils puissent parvenir à la connaissance du public, il ressort pour moi clairement qu’une campagne internationale en faveur de l’acquittement et de la libération de Sakineh Mohammadi-Ashtiani est parfaitement justifiée, dans la mesure où la focalisation sur un cas, parmi d’autres il est vrai, peut permettre 1. D’attirer l’attention de l’opinion internationale de manière plus efficace sur l’ensemble du problème 2. D’obliger le régime iranien (ou tout autre) à reculer.

Le second objectif semble pouvoir être atteint, puisque la suspension de la condamnation à mort de Sakineh depuis le 8 septembre, et les récentes déclarations de déni d’Ahmadinejadconstituent à l’évidence une première victoire, sur laquelle il faut s’appuyer pour interdire à l’ensemble de ces régimes de pratiquer la condamnation à mort par lapidation (et particulièrement pour adultère, la lutte globale contre la peine de mort restant le combat de fond à mener).

Pour revenir au rassemblement du 12 septembre cependant, j’ai été très surprise et choquée par l’intervention de la Ministre Fadela Amara. Cela tendait à confirmer mes soupçons d’une opération de communication de l’Elysée, visant à dédouaner non seulement Sarkozy mais ses ministres, particulièrement ceux venant de la gauche ou de la société dite civile, de leur approbation implicite de la politique d’exclusion menée à l’encontre des Roms. Je ne comprends pas pourquoi Fadela Amara et Bernard Kouchner n’ont pas démissionné de ce gouvernement : à l’évidence ils se sont déshonorés politiquement, et leur parole n’a en conséquence plus aucun poids.

Spontanément,et persuadée qu’au moins quelques personnes réagiraient comme moi, j’ai crié « Amara, démission ». Aussitôt entourée et bousculée par des femmes et des hommes, deux hommes m’ont menacée de me « casser la gueule », dont un membre de service d’ordre à la mine patibulaire (de quelle organisation, je ne sais pas), et j’ai été frappée.

Dotée de ce « mauvais caractère » que je revendique comme un droit (voir l’interview remarquable de Jacques Bouveresse sur Mediapart à propos du « droit au mauvais caractère »), ma détermination à empêcher la ministre de parler n’en a été que plus forte. Je n’ai pas bougé, défiant mes lyncheurs en puissance de toucher un seul cheveu de ma tête. La pression s’est peu à peu relâchée bien que j’aie continué à crier Démission jusqu’à la fin de l’intervention dela ministre ; un membre du service d’ordre de SOS racisme est venu me dire que, sur le fond, il était d’accord avec moi, et qu’il était à ma disposition si j’avais un problème). Un policier en civil m’a fait remarquer d’un ton rude qu’il allait être obligé d’intervenir si je continuais, et que je ferais mieux d’arrêter (il a parlé d’ « émeute » que je risquais de provoquer à moi seule, ce qui m'a fait rire). A quoi je lui ai répondu que je croyais être en démocratie, et que j’étais libre d’exprimer les opinions qui me semblaient justes.

De cet incident sans importance, il ressort au moins que 1. Je n’ai pas changé d’avis quant à ma conviction qu’il a été utile et même nécessaire de signer la pétition en faveur de Sakineh Mohammadi-Ashtiani, 2. Que, en effet, l’Elysée et ses ministres ont tenté d’instrumentaliser cet évènement à des fins de communication.

Il serait juste alors de demander à Bernard-Henri Lévy 1. Pourquoi la seule organisation féministe conviée à ce rassemblement fut Ni putes, ni soumises ? Une militante féministe est venue me voir après l’altercation pour me dire que les autres organisations féministes n’avaient pas pu déployer leurs banderoles. 2. Pourquoi Amnesty International, la Ligue des Droits de l’Homme et autres associations, voire les partis politiques, n’ont pas été conviés à ce rassemblement – ce qui lui aurait donné à l’évidence une tout autre allure (il y aurait eu un peu plus de monde et pas cette centaine de personnes perdues au milieu du trafic intense de la Place de la République).

Bernard-Henri Lévy a pris le micro après Fadela Amara, pour expliquer qu’il ne s’agissait en rien de soutenir le gouvernement sur d’autres sujets que celui de la libération de Sakineh, et que, d’ailleurs, les jours à venir le prouveraient. Dont acte. Depuis, le philosophe a lancé avec SOS Racisme la pétition « Touche pas à ma nation », et c’est le sujet de mon prochain billet.

Quelle leçon tirer de cette expérience ? Non pas, comme on me le murmure, de rester tranquillement chez soi, mais de continuer à faire ce qui semble pertinent et utile, à signer toutes les pétitions susceptibles de faire reculer les pouvoirs, que ce soit celui des mollahs iraniens ou celui de Nicolas Sarkozy. La participation massive à l’ensemble des manifestations justes sur leur fond et qui peuvent être utiles est doublement pertinente : d’abord parce que c’est la seule manière qu’a la « société civile » de se manifester massivement, ensuite parce que la participation massive à toutes les initiatives sans préjuger de leur instrumentalisation médiatique ou politique empêche précisément cette instrumentalisation.

Le réflexe qui prévaut aujourd’hui : rester entre soi, avec ses amis, les gens dont on partage 80% des opinions, a des conséquences désastreuses : c’est l’émiettement, la haine qui prévaut, le découragement, et au bout du compte l’impuissance. C’est tout ce qu’attendent les pouvoirs autocratiques, quels qu’ils soient.

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