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Billet de blog 21 octobre 2010

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Affrontements? Vigilance citoyenne pour la suite

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A vos caméras, appareils photos, téléphones portables! Ce qu'il faudrait : établir une vigilance citoyenne partout, dans les parages des manifestations, des lycées et des facs bloqués, des raffineries et autres lieux en grève. Filmer et photographier les forces de l'ordre en train d'intervenir dans les déblocages. A Paris, s'il n'y a pas eu d'affrontements mardi 19, c'est que 1. les syndicats ont organisé la dispersion aux Invalides magistralement. 2. parce qu'il y avait des caméras et des appareils photo partout.

Il faut faire passer le message, particulièrement chez les lycéens, qu'ils se munissent de téléphones portables, appareils photo toujours à portée de main, et photographient ou filment les "affrontements". Envoyer des gens pour surveiller particulièrement les abords des lieux où ça se passe : rues adjacentes, de l'autre côté des barrages policiers.

Les images peuvent être une arme défensive, pacifique. A écouter sur cette priorité de la vigilance médiatique : Peter Watkins, auteur du film génial La Commune, parle de ce travail et de ce qu'il appelle la Monoforme des fausses images fabriquées par les médias aux ordres : www.dailymotion.com/.../x70fzr_la-bombe-part-1_news ; www.dailymotion.com/.../x4n79v_interview-de-peter-watkins-1-2_news -.

Une anecdote : en mars 2001, un an avant la catastrophe des résultats du premier tour de 2001, une journaliste de la plus importante chaîne privée d'information continue, raconte à un dîner sur un ton badin, que la direction exige que sa rédaction ponde au moins un "sujet" par jour sur l'insécurité. C'est une guerre de l'information et de l'intelligence et il faut la mener.

Ce qui est en jeu : veut-on ou non une société où deux mondes coexistent qui ne se rencontrent pas, ceux qui font vivre le système par leur travail et ceux qui profitent, les premiers n'ayant aucun droit d'expression réel.

A cet égard, la manifestation du 19 octobre offrait une image inquiétante et emblématique : la police avait, comme en 86, organisé un enfermement de la manifestation, interdisant aux manifestants badgés d'en sortir, de Saint-François-Xavier à Invalides. Des barrages policiers imposants avec fourgonnettes à grilles bouchaient toutes les rues adjacentes boulevard des Invalides et sur la place (rue de Varenne, rue de Grenelle, rue saint-dominique, rue de l'université, et de même de l'autre côté de la place, où la seule issue laissée est le quai d'Orsay côté pont des invalides). J'ai pu sortir rue de Babylone parce que je n'avais pas de badge (un manifestant badgé, à côté de moi, n'a pas pu "sortir"), et j'ai voulu rentrer rue de l'université pour rejoindre la place des Invalides. Un policier m'a dit que si je passais le barrage, je ne pourrais pas le repasser dans l'autre sens : il m'aurait fallu une preuve que j'habite le quartier ou que j'y travaille.

Dans la rue de Bourgogne, aux alentours de l'assemblée nationale, aucun signe qu'une énorme manifestation se déroule à quelques pas : la vie habituelle de ce quartier très cossu des ministères, où l'on peut ignorer absolument ce qui se passe quelques mètres plus loin. Entre les deux "mondes", l'impressionnant dispositif policier, particulièrement sur le quai d'Orsay côté Assemblée nationale. Le pont Alexandre III est totalement interdit à la circulation : dès 16h, des dizaines de camions et de fourgonnettes de diverses formes ont commencé à se masser là, jusqu'à former un double barrage infranchissable d'un côté et de l'autre du pont.

L'impression physique et terrible de ce mur invisible et visible entre les hommes et les femmes pris dans l'esclavage salarial sous-payé, précarisé, sans issue, et les possédants, où l'argent et la police jouent leur rôle complémentaire. Où passe la frontière entre les deux mondes : dès que la contrainte salariale est atténuée, soit parce que le travail salarié est choisi et bien payé, soit parce qu'une possession, même minimale (la possession de l'habitation principale par exemple) relâche la pression. On voit très bien que, pour ceux qui sont sur la limite entre les deux mondes, la compréhension et la connaissance de ce que vivent les autres, tous les autres (qui sont la majorité des salariés plus les précarisés, soit environ et au moins soixante pour cent des gens de ce pays) ne peut être que morale et politique. C'est particulièrement vrai pour les intellectuels et les artistes.

Il est urgent de comprendre et de faire comprendre que si ces deux mondes ne communiquent plus, la démocratie n'existe plus. Les individus de bonne volonté doivent devenir des passeurs de frontière. Et pas seulement les frontières entre les états.

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