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Billet de blog 28 septembre 2010

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Mobilisation de la société civile? actualité du jour : psychiatrie, immigration, identité nationale

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Quel est le rapport dira-t-on entre le projet de loi Besson sur l'immigration, l'intégration et la nationalité présenté aujourd'hui à l'assemblée nationale (qui prévoit, rappelons-le, de faciliter les expulsions d'étrangers et la création d'une nationalité à deux vitesses par l'élargissement de la déchéance nationale), et la grève des psychiatres hospitaliers, ce jour également, qui protestent contre un autre projet du gouvernement : prévoyant entre autres de permettre aux préfets de maintenir hospitalisé en service psychiatrique, contre l'avis du médecin, un patient qu'ils estiment porteur de troubles à l'ordre public?

De quelle manière un citoyen lambda peut-il réagir à ces deux évènements? Quelle est, dans ces deux cas, la validité de la "mobilisation de la société civile" qu'appelait de ses voeux Pierre Rosanvallon dans son intervention récente sur Médiapart (http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/170910/pierre-rosanvallon-lechec-du-sarkozysme-la-panne-de-la-gauche)?

Mettons que le citoyen lambda en question vienne de signer (c'est mon cas) l'appel en ligne sur Mediapart pour "une justice indépendante et impartiale" dans les affaires Woerth-Bettencourt, pour appuyer la demande du procureur général près la cour de cassation, Jean-Louis Nadal, qu'un juge d'instruction soit nommé. Il faudrait ajouter encore l'objet de mon billet précédent à cette liste : l'appel aux citoyens français et européens pour que l'UE sanctionne la discrimination d'état envers les Roms. Pour être complète enfin, je dois répéter ma conviction ici que si la dite "réforme des retraites" passe, un pas décisif sera fait pour l'acceptation d'une régression sociale générale en France et en Europe, et que cela ne fera qu'affaiblir encore la démocratie. Il faut dire et répéter comme les responsables syndicaux le martelaient hier soir sur France Inter que le problème des retraites n'est pas démographique, que le problème de fond est celui d'une juste répartition des richesses. Si cette réforme passe, cela ne fera que renforcer le désabusement et le cynisme dont nous sommes tous plus ou moins complices à l'égard de la lutte pour les droits sociaux et pour l'expression politique censés caractériser notre continent. Bref le citoyen lambda ira manifester samedi (2 octobre : à l'appel de l'ensemble des organisations syndicales).

Comment ne pas avoir l'impression que l'addition des indignations et des protestations s'annulent l'une l'autre plutôt qu'elles ne se conjuguent? La "mobilisation de la société civile" ne se décrédibilise-t-elle pas elle-même en multipliant les actions, l'une effaçant l'autre (et il y a toujours quelqu'un pour vous rappeler qu'il y a des sujets encore plus graves qui mériteraient notre attention : souvent, ils ont raison)?

Ce qui nous manque, c'est la capacité à dénoncer la logique sous-jacente à l'ensemble de ces offensives gouvernementales contre les libertés fondamentales des individus (des malades, des immigrés, des salariés - ou comment avoir encore le droit de ne pas crever juste après avoir obtenu, à 67 ans! le droit à la retraite à taux plein).

Or quel est le nom de cette logique ou de ce discours qui nous fait défaut : c'est la politique. La différence entre une succession de protestations sur des sujets particuliers et la politique, est que la seconde devrait permettre de lier en un seul discours, en une seule logique, des évènements qui paraissent éloignés. Pas la politique électoraliste qui tend à repousser à la lutte des partis, et à l'élection présidentielle de 2012 la possibilité d'une discussion globale sur l'ensemble de la situation (comment ne pas voir que l'autoritarisme de Sarkozy bénéficie à plein des institutions de la Vème République et de la présidentialisation à outrance, à laquelle s'est ralliée, sous Jospin, la gauche!). Non, la vraie politique : celle qui cherche à nous faire apercevoir la possibilité d'un autre monde que celui auquel nous nous résignons un peu plus chaque jour.

A ce sujet une anecdote : entendu sur France culture hier matin, une brillante journaliste (par ailleurs) se consoler du constat d'une crise de la démocratie en europe et de la délocalisation de la production dans les pays émergents comme la Chine, alliant régime autoritaire et capitalisme sauvage, en imaginant que le vieux continent puisse devenir une sorte de jardin bio, une réserve naturelle des espèces... Et pourquoi pas aussi des espèces politiques, elle devait penser sûrement à ce que sont les universités américaines pour les idées de gauche, notamment le marxisme : une sorte de congélateur... Quelle vision "bobo" du monde, quel irréalisme, quel aveu quant à la capacité de se contenter de bien penser et de bien vivre entre soi, pendant qu'à côté, beaucoup moins loin que la chine (du reste on aura toujours besoin de larbins matinaux pour nettoyer les salles de rédaction : voir le livre de Florence Aubenas à ce sujet), c'est le chaos des usines polluantes et la misère, alors que, derrière un mur, se produisent dans des conditions qu'on ne veut pas voir, les objets dont nous nourrissons notre narcissisme jouisseur et imbécilement mimétique.

Une bonne nouvelle cependant : les partis de gauche pour une fois unanimes viennent de réclamer tous ensemble la démission du président de l'assemblée nationale, Bernard Accoyer, lequel, sur ordre, leur a interdit d'exprimer pleinement, à l'Assemblée nationale la semaine dernière, en contradiction avec les dispositions que la droite elle-même a fait voter, leur opposition à la dite "réforme des retraites" (expression légitime quand on voit l'état de tension du pays sur ce sujet, et néanmoins qualifiée d'"obstruction" par le pouvoir).

Enfin, ils sont capables d'une action unitaire! Mais à quand un projet politique unitaire capable d'ouvrir vraiment ce qu'on appelait autrefois une "perspective politique"?

Un projet politique qui ne serait pas une série de compromis et d'aménagements, mais la possibilité affirmée que le XXIème siècle sera autre chose que le siècle de la régression sociale et du mépris des libertés. Un programme politique qui prendrait acte des révolutions que nous sommes en train de vivre : qui proposerait une vraie réponse à l'invasion en Europe du capitalisme de spéculation, à la délocalisation mondiale de la production dans les pays émergents dans des conditions sociales inacceptables, à l'explosion de la disparité de revenus entre les très riches et les pauvres, qui prendrait enfin conscience de l'impossibilité de s'en tenir à l'invocation de la "croissance" alors même que le type de marchandises produites (obsolescentes et à flux tendus), la rareté de l'eau et des énergies nous conduisent à des catastrophes humaines et écologiques, à des aberrations dans nos manières de vivre et de sentir. Comment ne pas voir que c'est ce programme politique unitaire, sociale, écologique, qui manque et que les partis de gauche actuels y font tous obstacle, chacun pour des raisons différentes (parfois uniquement pour se compter, dans des objectifs purement claniques)?

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