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Billet de blog 29 septembre 2010

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Notre terreur, La colline, mardi 28 septembre

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'ai vu hier soir "Notre terreur" à la Colline, mise en scène : Sylvain Creuzevault, la compagnie D'ores et déjà étant collectivement auteur du canevas de la pièce, modifié par l'improvisation à chaque représentation.

Le spectacle en tant que spectacle est excellent, mais mieux, il donne à penser : on rit, on a le coeur serré, on a peur, il y a de l'excès, du grand-guignol, de la pudeur, de l'impudeur, beaucoup d'émotion, de l'intelligence des situations, de l'intelligence tout court. Malgré l'énormité du sujet (la Grande Terreur, la mort de Robespierre, la fin de la Révolution et de la première République), rien n'est guindé, figé, ni pompeusement solennel : on n'est pas dans je ne sais quel "musée de l'histoire de France", revisitant avec une distraction respectueuse un lointain passé. Au contraire, le public est mis en situation, grâce au dispositif de semi-improvisation qui est toute la force de cette troupe novatrice, de revivre pour son compte ces journées de fièvre, d'y prendre part, d'être acculé à prendre parti.

Les comédiens sont stupéfiants, tous. Le couple Robespierre/Saint-Just fonctionne parfaitement, précisément dans la liberté qu'il prend avec l'Histoire consacrée, et en offrant des deux personnages une image actualisée (ainsi d'ailleurs que de l'ensemble des membres du Comité de salut public). Figurant nous-mêmes, sur nos gradins, les conventionnels, nous assistons, comme par le trou de la serrure, aux discussions frénétiques des douze (onze) membres du comité installés au pavillon de flore - mais il s'agit aussi bien, en même temps (les comédiens portent nos costumes, sauf Robespierre à la toute fin), des représentants des collectifs d'étudiants réunis en assemblée générale en 2006 au moment de la fronde contre le CPE, ou de la sorbonne occupée en 68 que montre le documentaire de William Klein. La situation a brusquement basculé dans une accélération de l'Histoire où la démocratie, les principes républicains, sont en jeu. Nous avons à en décider, là, tout de suite.

C'est peu dire qu'on se prend au jeu.

Ce qui est interrogé par les comédiens, et particulièrement hier soir (il paraît que les représentations sont toutes sensiblement différentes), c'est la nature religieuse de l'évènement ; ce qui est sur la table (la longue table autour de laquelle tous débattent, se battent), c'est la croyance de Robespierre, ici positivement affirmé, en une "vérité" : la défense et l'instauration des principes d'une république pure, redistributrice de la richesse, incorruptible, soucieuse réellement de la prospérité et de la liberté du plus grand nombre.

Nous sommes suspendus à la question de savoir, et c'est ce qui rend l'atmosphère dans la salle si tendue, si on peut y croire encore, nous, là, hier soir.

Cela a été souligné par la critique, la réhabilitation de Robespierre et du Grand comité de l'an II (septembre 93-27 juillet 1794) est nette, mais loin, très très loin de la justification idéologique qui fut celle des historiens marxistes.

Toute la remarquable ambiguïté de cette représentation in progress, ramassant en une mécanique subtile, jamais appuyée, nos contradictions du jour, se tient dans le vertigineux balancement qui nous plaque au mur, par-delà la trivialité des questions d'approvisionnement, les querelles personnelles, et les divagations de suppression de la propriété (combattues par Robespierre), entre notre adhésion soudain évidente, poignante, à la promesse révolutionnaire d'égalité, de liberté, de fraternité, à cette chose qui nous émeut toujours, à laquelle on pense tenir encore, la recherche désespérée de la justice, et puis ... et puis notre scepticisme. Au coeur même de notre adhésion et de notre émotion, notre désabusement, notre cynisme nous apparaît, lorsque, l'incorruptible présenté soudain sous les traits d'une marionnette pathétique et ridicule, geignant que tout le monde est méchant sauf lui, que c'est pour cela que la révolution, la république, courent à sa perte, nous rions.

Dès lors, effrayés d'avoir été un instant complices de l'intraitable mécanique de la terreur politique - et nous venons de l'être au nom même de notre croyance en la justice, nous devenons peu à peu ces thermidoriens mettant à mort celui qui fut, quelques minutes plus tôt, notre maître à penser.

C'est notre regard qui aussitôt transforme le logicien Robespierre en cet automate du XVIIIè siècle, tel que l'Histoire l'a caricaturé, avec ses culottes de soie et son frac bleu, la tête poudrée du blanc de céruse, linceul de l'ancien monde, nous interpellant au moment de mourir, nous, conventionnels et public du XXième siècle qui l'avons déjà abandonné : "Que peut-on objecter à celui qui veut dire la vérité et qui consent à mourir pour elle?" (discours du 8 thermidor)

Mais déjà, il est trop loin dans l'histoire, nous ne l'écoutons plus : pas plus que les comédiens devant nous, nous ne pouvons plus croire en l'être suprême qu'il a inventé (et les comédiens ont nettement du mal avec cette affaire qu'ils débattent sans conviction), construction métaphysique un peu laborieuse visant à tenir le ciel ouvert.

Nous soupçonnons soudain pourtant que nous avons vécu de cette nouvelle religion de la liberté inventée par lui, et qu'elle nous fonde (nous citoyens de France et d'ailleurs).

Mais notre remord aussitôt est de constater que nous n'y croyons plus - tout en en éprouvant comme une nostalgie lointaine et mêlée.

Depuis deux siècles, Robespierre, déifié et sacrifié à toutes les sauces des discours républicains et démocrates, vivait en prophète méconnu d'une vertu dont on n'avait pas voulu apercevoir la nature religieuse. Depuis hier soir (c'est une image) nous voyons clair, mais peut-être seulement parce que la religion de Robespierre est derrière nous : ce que nous voyons désormais en lui, pas un prophète, non, juste un suicidé de la société, noyé dans la foule de tous ceux, les imbéciles, les fous, les poètes, les pauvres types, les perdants, qui préfèrent la misère et la mort à l'acceptation de l'injustice.

Faire de Robespierre une figure suicidaire, tel est notre lot et notre symptôme, remarquablement mis en image par ce spectacle. Certes il est encore au centre du jeu, et la figure principale de la pièce : sa froideur et son absence de vitalité, son intellectualisme le rendent plus fort que les excès vibrionants de Saint-just ou la puérile virilité déchaînée de Carnot le militaire : il est celui qui joue sa vie en conscience et ne cherche pas, coûte que coûte, à continuer.

Mais nous croyons savoir désormais (notre arrogance désespérée) que le pur amour pour la justice est suicidaire, que c'est se sacrifier, se retrancher du reste des hommes. Qui de nous ne demande pas : est-ce bien raisonnable?

Les thermidoriens sont raisonnables. La plupart d'entre eux vont survivre, ils ont voulu sauver Robespierre malgré lui, prétendent-ils, et ils moquent sa mélancolie misanthrope intraitable.

Nous sommes comme eux : déjà aux pieds du "petit caporal" intrigant et sans scrupule venu ramasser la mise du pouvoir au service des nouveaux riches et des accapareurs, nous le remercions de nous avoir enfin délivrés du poids de la liberté et de l'insensé désir de justice.

On tremble en sortant de la Colline d'avoir vécu les dernières heures de la république.

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