Suite aux dernières décisions de Blanquer, l'enseignement de la philosophie, évalué en épreuve finale et mis totalement à l'écart du contrôle continu, va se trouver de plus en plus marginalisé et isolé du fait de l'extension du contrôle continu aux spécialités et du système Parcoursup. Il apparaîtra de plus en plus comme une matière négligeable.
Que deviendra l'épreuve finale de philosophie? En s'exprimant en faveur d'un "contrôle continu intégral", Mathiot (qui préside le comité de suivi de la réforme du lycée) a laissé entendre que celui-ci pouvait à terme être étendu à la philosophie. Quand on voit le mépris manifesté cette année par le ministère à l'égard de l'épreuve finale de philosophie et des conditions de sa correction, on imagine mal que Blanquer ait envie de la maintenir à l'avenir.
Le ministre aura tout fait en tout cas pour que les professeurs de philosophie paient très cher leur attachement à l'épreuve finale de philosophie et à un véritable bac national. On peut se demander si son plus grand souhait ne serait pas de parvenir à faire désirer par les professeurs de philosophie eux-mêmes la fin du bac national et le tout contrôle continu.
Mise en cause du bac national

Ainsi, entend-on dire, le bac est aujourd'hui tellement dévalorisé qu'il est absurde de le maintenir, tant il est devenu un monument dérisoire. On pourrait donc passer à la généralisation du contrôle continu. Que le bac ait perdu considérablement de sa valeur, c'est un fait, mais cette dévalorisation est-elle le fruit d'une évolution naturelle? Comment oublier toutes ces "réformes" qui n'ont cessé de le dégrader au faux prétexte de le "démocratiser"? N'est-il pas au contraire nécessaire d'inverser cette logique? n'est-il pas légitime de rétablir un véritable bac national de qualité fondé sur des épreuves nationales finales, anonymes, dans toutes les disciplines, un bac national qui garantisse l'égalité de traitement de tous les élèves, quels que soient leur lycée et leur région d'origine?
Irréaliste, dira-t-on. Irréaliste dans le cadre de la politique de démolition de l'école menée jusqu'ici, c'est certain. La décision de rétablir un vrai bac national implique en effet une rupture avec la politique menée depuis plusieurs décennies par les gouvernement successifs. Sur ce point, il serait trop facile de tout mettre sur le compte de Blanquer, même s'il s'est montré particulièrement destructeur. La mise en cause du bac national qui consacre la fin des études secondaires et est le 1er grade universitaire, n'est pas seulement de son fait. Elle est déjà annoncée par la loi de refondation de l'école (2013) élaborée par Vincent Peillon, qui vise l'instauration d'un "continuum bac -3 bac +3" et une diminution des disciplines d'enseignement au profit de la nouvelle doctrine du "socle des compétences".
Avant JM.Blanquer, il était question de "refonder" l'école pour l'adapter aux exigences de la compétitivité économique, et au nom de la réduction de la dépense publique, il était déjà admis d'ouvrir l'école publique au secteur privé. JM.Blanquer a brutalement radicalisé et accéléré cette politique; pour mener à la privatisation de l'école, il s'agit désormais de jouer sur trois leviers: la mise en cause du statut de fonctionnaire d'Etat des professeurs, le recours de plus en plus accru à la contractualisation (loi de transformation de la Fonction Publique 2019), la régionalisation de la formation (loi 4 D).
On ne peut pas aborder la question du bac en faisant abstraction de cette politique. En tant qu'examen national et 1er grade universitaire, le bac est la clef de voûte de l'édifice juridique de l'enseignement secondaire: il exige des programmes nationaux, des horaires nationaux, des statuts nationaux qui garantissent que les élèves des lycées de la République auront droit au même cadre d'instruction. Avec la fin du bac national, tout cela risque de disparaître. La fin du bac comme examen national n'expose pas seulement les élèves à un traitement inégalitaire dans l'accès au supérieur, elle permet aussi l'instauration de conditions d'enseignement totalement inégalitaires d'un lycée à l'autre, sans qu'il soit désormais possible de dénoncer en droit les injustices quand elles existent en fait, sans qu'il soit possible d'exiger leur correction.
Quand les patrons applaudissent...
Enfin, comment oublier que le bac national garantit un niveau de qualification dans le cadre des conventions collectives!
La fin du bac national est un vieux rêve formulé depuis longtemps par les milieux patronaux. Sans doute fallait-il d'abord le dévaloriser, pour rendre le rêve envisageable, et enfin le réaliser en le supprimant une fois pour toutes. On pourrait ici retracer l'historique de toutes les (contre)réformes qui, ces dernières années, lui ont progressivement enlevé de sa substance, et ont surtout consisté à priver de plus en plus les élèves d'un enseignement de qualité. Et voilà qu'ils touchent au but! Inutile de masquer sa joie en déclarant comme Blanquer son grand amour pour le bac et l'école ( il faut "regénérer le bac", dit-il!). Les patrons n'ont pas ces pudeurs; ils s'expriment sans détour, comme le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy (celui qui organise la privatisation d'EDF par le projet HERCULE), qui vient de déclarer le 3 juillet lors des rencontres économiques d'Aix (réunissant des patrons du CAC 40, des membres de l'Institut Montaigne comme Blanquer, des hommes politiques) : « il parait que le BAC est en train de disparaître, c'est une très bonne nouvelle. Il faudrait vraiment que l'Etat ne soit plus le prescripteur de la formation et qu'elle soit entièrement confiée aux régions (...) pour la rapprocher des besoins de l'entreprise"
( à suivre)