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Billet de blog 10 février 2025

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IA générative à l'école ou quand ChapGPT pense pour moi

ChapGPT analyse et produit du discours. Une apparence de "pensée" en libre accès dont les élèves ont déjà compris tout l'intérêt qu'elle pouvait avoir pour faire leurs devoirs à la maison, en particulier dans les matières qui supposent rédaction de réponses. Et une catastrophe en marche pour la formation intellectuelle des jeunes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Naïveté déconcertante. C’est le jugement que l’on pourrait porter sur l'interview accordée à Ouest-France le 6 février par Élisabeth Borne, la ministre de l'Éducation nationale qui annonçait alors la formation des élèves à l’IA dès la rentrée prochaine . Au journaliste qui lui demandait : "Est-ce que faire un devoir avec ChapGPT c'est tricher", elle a fait cette réponse : "Non. Mais il nous faut éduquer les élèves aux biais et aux limites de l’IA. Cela peut aider à préparer le devoir, mais l’IA ne doit pas se substituer au travail de l’élève".

Une telle méconnaissance de ce qui est en train de se passer depuis l’émergence de ChatGPT en novembre 2022 ne peut que laisser pantois. Car les élèves, eux, ont immédiatement compris l’intérêt que pouvait avoir pour eux cette nouvelle technologie, ce que souligne un article du Monde du 8 février intitulé "Intelligence artificielle : comment ChatGPT métamorphose la triche scolaire" : l'usage de l'IA générative pour faire le travail donné à la maison est massif dans les collèges et lycées de France. Et l’IA se substitue bien au travail de l’élève.

Quand l'IA analyse et rédige à la place de l'élève


Je ne parlerai que du « français », matière que j’ai enseignée pendant de très nombreuses années en collège essentiellement. En quoi consiste-t-elle ? A développer chez les élèves la capacité à comprendre des textes et à formaliser une pensée à l'écrit. Ce que l’IA générative peut effectuer à la place de chacun, par essence. La preuve par la réponse apportée par ChatGPT à des questions données à des élèves de quatrième sur le début de La parure de Guy de Maupassant, réponse d'une qualité supérieure à ce qu'un élève moyen peut faire. 

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Réponses de ChatGPT à des qestions sur La parure de Guy de Maupassant © Pascale Fourier


Dès lors, plus aucun travail d'écriture d'entraînement ne pourra être donné à la maison.Quelles incidences cela aura-t-il ? Plus de première approche d’un texte à la maison, ce qui pouvait surseoir à la difficulté d'une lecture rapide et efficace chez certains élèves. Plus de tentatives d’interprétation, de recherche de l’implicite, de rédaction de petits paragraphes cohérents ou de textes argumentatifs plus conséquents – entraînement sans conséquences en cas d’erreurs puisque le travail pouvait être repris en classe collectivement avec la participation de tous. On devra jouer du violon sans jamais toucher un archet en dehors des heures au conservatoire…


La formation à la pensée argumentée et à l'esprit critique en danger


Et le nombre d'heures de cours ayant fondu comme neige au soleil en français (4 h en 3ème, 4h30 pour les autres classes du collège), on ne pourra pas compenser cet entraînement par le même travail en classe. Or le "français" était une matière-outil qui nourrissait bien d'autres matières scolaires et développait des qualités propices au développement de l'esprit critique et d'une pensée argumentée… - dommage dans le contexte actuel de fakenews et d’hystérisation des débats.


D’aucuns chantent à longueur d’émissions ou d’articles tout l’intérêt que l’IA pourrait avoir dans l’enseignement. C’est déjà en soit avoir une méconnaissance absolue des conditions matérielles réelles qui prévalent en matière d’informatique dans les établissements scolaires (en 2022, dans mon collège, nous avions une salle informatique d’environ 15 postes en état de marche incertain, et 2 mallettes informatiques de 15 postes pour plus de 700 élèves). Mais c’est surtout méconnaître absolument le fait que la pensée est un discours et que l’IA produisant du discours va substituer sa « pensée » à celle des élèves… Pas de « biais » ou « limites » en ce domaine : l’IA produit un discours d’un niveau bien supérieur à celui de l’esprit en construction d’élèves de collège ou de lycée – ce qu’ils savent bien. La catastrophe est en marche.

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