C’est une belle performance qu’a réalisée la ministre de l’Éducation nationale dimanche 17 novembre sur France inter : soutenir une mesure voulue par le gouvernement, la mise en place de trois jours de carence pour les fonctionnaires et donc les enseignants, tout en soulignant de bonnes raisons de ne pas la soutenir. Mais qu’importe pour elle que son propos manque de cohérence, l’important était de faire passer des « éléments de langage » qui seraient retenus par l’AFP, puis diffusés dans tous les médias. Mission accomplie : Le monde, par exemple, titre ainsi son article : « Jours de carence : Anne Genetet défend une « égalité de traitement » entre public et privé ».
Sans médecine du travail ni contrats collectifs de complémentaire santé
« Égalité de traitement »… Le mot ne lui fait pas peur quand pourtant elle souligne elle-même l’inégalité fondamentale qui existe entre les salariés du privé et les enseignants, la (quasi) absence de médecine du travail. Ses propos ont d’ailleurs le mérite de l’honnêteté : « Quelle médecine du travail nous avons pour nos professeurs ? Je vais le dire très franchement, je vais être très simple : pratiquement rien ». Et elle a raison : d’après un document que s’est procuré l’AEF, en 2023, « 77 médecins du travail étaient en poste, représentant 63 ETP (NDLR : équivalent temps plein) ». Un médecin pour 15 600 salariés !
Agrandissement : Illustration 1
Pourtant, parmi les cadres (et les enseignants sont des cadres), ce sont les enseignants et au premier chef les professeurs des écoles qui ont les plus hauts risques psychosociaux (RPS), c’est-à-dire « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental », comme le souligne une étude de 2016 faite par la Depp, la Division des études du ministère de l'Éducation nationale. Une étude que la ministre aurait tout intérêt à lire si elle veut comprendre le manque d’attractivité de la profession.
Crédible, la ministre quand elle parle d'"égalité de traitement" alors même qu'elle sait qu'égalité de traitement en matière de médecine du travail il n'y a pas ? Ne lui faudrait-il pas mettre en place ce dont ne bénéficient pas les enseignants actuellement - contrairement à tous les salariés de France - avant de se réjouir d'amputer les salaires notoirement bas de ses agents sous prétexte d'égalité ?
Dans le privé, une compensation des jours de carence pour 2/3 des salariés
En matière d'inégalité de traitement, il en est un autre, et de taille: les enseignants en particulier attendent toujours que leur employeur contribue à hauteur de 50 % à leur complémentaire santé d’entreprise qui n’est toujours pas mise en place. Pour tous les employeurs du privé et les associations, c’est une obligation légale depuis le 1er janvier 2016. Cette inégalité est d’autant plus dommageable que, d’après un article de France Info, « selon un récent rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances, "deux tiers [des salariés du privé] sont protégés contre la perte de revenu induite par le délai de carence par le biais de la prévoyance d'entreprise" ». On parlait d’égalité ?
La franchise vaudrait mieux que les contorsions : le gouvernement veut faire des économies sur le dos des fonctionnaires, et singulièrement sur celui des enseignants. Et qu’importe si la ministre, remettant sa casquette de médecin, avoue elle-même que « les enfants sont la première communauté qui véhicule la grippe » qui arrivera en décembre et que donc « les professeurs sont les premiers exposés » : de grosses économies se profilent à l'horizon. Des enseignants malades ? L ’État-employeur y gagnera des jours de salaire en moins et, avec trois jours de carence, l’Assurance-maladie y gagnera aussi. Double bénéfice. Et tant pis pour les enseignants qui dépendent d’un « ministère profondément humain », assure leur ministre - qui ne semble pas bien comprendre les raisons de la « baisse d’attractivité » du métier… Veut-elle que les enseignants lui fassent un dessin ?