Le débat qui a suivi hier la diffusion sur France 2 du remarquable documentaire Histoires d’une nation : l’école vous a permis, Monsieur le Ministre, de clarifier la position du gouvernement sur les rémunérations des enseignants. À la rentrée prochaine, aucun salaire ne devrait être inférieur à 2000 euros nets. À cela s’ajoutera, d’après vos dires, « 10% pour tous les enseignants jusqu’aux 20-25 années de travail » ainsi que « 10% supplémentaires pour des enseignants qui s’engagent sur des missions qu’ils réalisent déjà, y compris dans les relations avec les familles » (sic).
Examinons les chiffres.
Pas de salaires nets à moins de 2000 euros.
Les 7 premiers échelons de la grille des salaires nets indiciaires des certifiés et professeurs des écoles gagnent actuellement moins de 2000€ nets. Ils ne sont plus que 6 si on inclut dans le « salaire » la prime d’attractivité dite prime Grenelle, et plus que 5 si on y ajoute la prime ISOE/ISAE ( une prime que touchent tous les enseignants et qui rémunère le suivi des élèves – conseils de classe, rencontres avec les parents, etc).
Suivant la base de calcul retenu, on obtient une augmentation des salaires de l'échelon 2 de 316€, 159€ ou 69€.. A l'échelon 5, après 6 ans de carrière, une augmentation de 180€, 101 ou...12 €.

Dit autrement, ce "pas moins de 2000 euros nets" est un « salaire d’appel » face à la crise de recrutement et elle améliorera la situation indécente des enseignants jusqu’à leurs 14 ans et demi de travail ( ou 11 et demi ? Ou 8 ans et demi de carrière : des précisions du Ministre seraient bienvenues…). La carrière sera-t-elle étale pendant tout ce temps ou toute la grille des rémunérations sera-t-elle revue ? Mystère…
Cette mesure, quoi qu’il en soit, n’améliorera la situation salariale que des 20 % des enseignants âgés de moins de 35 ans, à part cas d’enseignants étant entrés tardivement dans la carrière. Pour tous les autres, et notamment les 32% des enseignants qui ont plus de 50 ans, cette mesure ne leur apportera rien et ne résoudra donc en rien la baisse de 20% de pouvoir d’achat des enseignants à échelon égal sur 20 ans.
Une augmentation de « 10% pour tous les enseignants jusqu’aux 20-25 années de travail »
Plus de la moitié des enseignants concernés, puisque 66,8% des enseignants titulaires relèvent de la « classe normale » (qui peut suivre la carrière des enseignants sur plus de 26 ans, voire plus, et à moins qu’ils ne soient passés à la « hors classe » entre-temps).
Pourtant, on sent l’entourloupe dans le propos. Car si les 10% sont donnés à tous les enseignants qui ont entre 0 et 20 ou 25 ans de carrière, c’est-à-dire y compris à ceux qui sont actuellement rémunérés à moins de 2000 euros nets, on arriverait à cela : une stagnation du salaire promise pendant 14 ans et demi, puis une augmentation de 6% environ en moyenne tous les 3 ans en moyenne, sur 10 ans, avant l’accès à la Hors-classe et une carrière quasi stagnante…

En somme, on peut se demander si vous n'êtes pas le digne successeur de M. Blanquer, qui avait l’art de faire des annonces propres à faire penser au grand public que les enseignants étaient choyés, voire sur-choyés… Mais à moins que vous ne produisiez rapidement une grille des salaires claire, on peut vous soupçonner, comme votre prédécesseur, de n’être que dans la comm’, voire l'enfumage...
Une volonté réelle de « revalorisation » des enseignants devrait amener vos services à faire ce calcul qui doit être faisable ( puisque d’autres l’ont fait) : la somme totale des rémunérations sur une carrière complète en euros constants et en prenant en compte différentes hypothèses de croissance des prix. Puisque les échelons sont grimpés de façon fixe, ce ne doit pas être trop difficile à calculer… En Avril 2018, les Echos se faisaient le relais d'une étude réalisée par le moteur de recherche d’emploi Adzuna, dont voici le tableau des résultats - et faut-il vous rappeler que le niveau des enseignants est bien de bac+5 désormais?...

Pour rappel, en 2020, le salaire en équivalent temps plein (EQTP) dans le secteur privé est en moyenne de 3 300 euros bruts par mois, soit 2 518 euros nets de cotisations et de contributions sociales (source INSEE). Il est de 2 610 euros nets par mois pour les enseignants à temps plein, bac +5 et concours pour les nouveaux entrants depuis un certain moment désormais. Vous le voyez, le problème?
Faut-il vous transmette le document fait par vos services en Novembre 2020 sur le taux de rémunération de travail devant élèves dans les différents pays de l’OCDE ? Si les professeurs allemands surveillent la cour, eux, encore faut-il rappeler qu'il travaillent pour 3 fois le salaire horaire français ! J’en extrais ce point donc:

Pendant longtemps, le contrat tacite avec les enseignants était celui-ci : mal payés (mais pas à ce point !) sur toute la carrière, mais une belle fin de carrière et une belle retraite. Quel nouveau pacte voulez-vous passer avec eux – et avec quelle transition pour ceux qui, engagés déjà dans le métier, ne doivent pas être les dindons de la farce de la volonté d’attirer de nouveaux enseignants – quand ce sont les conditions indignes faites aux anciens qui repoussent les nouvelles bonnes volontés- ?
« 10% supplémentaires pour des enseignants qui s’engagent sur des missions qu’ils réalisent déjà »
… votre inconscient a parlé ( ou vos souvenirs, Monsieur le Ministre, puisque vous êtes fils d’enseignante). De deux choses l’une : soit les enseignants font DÉJÀ les tâches qui ouvrent droit à une rémunération supplémentaire de 10%, et alors il faut les augmenter TOUS de 10% -puisque se coordonner avec ses collègues, rencontrer les parents, parler avec le Psy-EN, l’infirmière, le médecin scolaire, remplir les PAP, les PPRE, signaler un problème grave, faire des projets avec ses collègues fait déjà partie du travail d’enseignant-, soit vous allez inventer de nouvelles tâches: définissez-les clairement ( en rappelant qu'il s'agit d'heures supplémentaires, à moins que vous ne supposiez qu'ils ne travaillent pas déjà un nombre d'heures suffisant).
NOTA : Pour les "nouvelles tâches", la surveillance de la cour n’est pas envisageable, bien évidemment…. (pas plus que le nettoyage des toilettes).