C'est pas moi qui l'dis..., mais c'est bien moi qui l'ai faite, cette interview de Frédéric Lordon, économiste et directeur de recherche au CNRS, auteur aux éditions Raisons d'agir en 2003 de "Et la vertu sauvera le monde" et en 2008 de "Jusqu'à quand ? L'éternel de la crise financière".C'était le 6 Mars dernier, et on peut en trouver la version audio là : http://jaidulouperunepisode.org/004_Lordon_1_sur_4.htm.
8 ans désormais que je fais de petites interviews de ceux qui pensaient déjà avant la crise que le néolibéralisme tel qu'il allait n'amenait pas au meilleur... Des interviews à diffusion.... comment dire...."intimiste" si on en mesure l'audience à l'aune des grands médias qui nous serinaient à longueur de temps que le meilleur des mondes était à notre portée à condition de quelques réformes bien pensées et de libération de toutes les énergies....
Alors puisque Mediapart m'offre un espace, je me permets d'y mettre la transcription de l'interview que Frédéric Lordon m'a accordée, pour qu'elle rencontre un public plus large. Attention ! C'est une publication à épisodes, un véritable feuilleton en 12 épisodes probablement ! C'est que la lecture de textes longs à l'écran me semble quelque peu ardue, alors je coupe... Aussi, avant de dégainer vos plumes acérées, chers Médiapartistes, laissez aller Frédéric Lordon au bout de ses arguments ( 3 épisodes pour la 1° partie de l'interview qui concerne la nécessité de la nationalisation des banques) - ou rendez-vous si vous bouillez d'impatience sur le site de J'ai dû louper un épisode....
Bonne lecture !
Pascale Fourier : Frédéric Lordon, vous êtes directeur de recherche au CNRS, et notre président va pouvoir être très content, parce que visiblement vous avez trouvé quelque chose... Vous m'avez dit tout à l'heure que, tel Popeye avec ses petits muscles, vous aviez trouvé en octobre un magnifique plan pour sauver l'ensemble de l'économie de la planète.
Frédéric Lordon: Du système solaire plutôt... C'est très bien. C'est un lancement extraordinaire : je suis dans les meilleures conditions possibles pour ne pas avoir l'air d'un âne.... Je vous remercie beaucoup Pascale Fourier.... Alors, il se trouve qu'au mois d'octobre, une idée m'est passée par la tête, ce qui est rarissime pour un chercheur.
Octobre 2008 : ce qui a été fait....
A ce moment-là quel est le problème ? On a un problème de dette des ménages, de dette immobilière des ménages. Le paquet de mauvaises dettes est rondelet, mais il est quand même assez bien circonscrit: on pourrait encore s'en tirer à la rigueur, pourvu qu'on fasse la chose qu'il faudrait faire. Et la chose qu'il faudrait faire, c'est précisément ce que n'ont pas fait les autorités des États-Unis, ce qui est quand même très intéressant d'ailleurs : ce qui me frappe, c'est la très médiocre qualité de la réponse des pouvoirs publics depuis cet automne. Ce n'est pas qu'ils ont tout faux sur toute la ligne, ce n'est pas ça: les pouvoirs publics ont appris en 80 ans. Depuis la crise de 29, ils ont un peu appris et donc il y a des bêtises qui n'ont pas été faites cette fois-ci, et ça, ça vaut quand même le coup d'être noté. Deux bêtises en particulier ont été évitées. En 1929, la Réserve fédérale avait conduit une politique monétaire très restrictive - il s'en était suivi un désastre pur - et, dans les premières années de la récession en tout cas, l'orthodoxie voulait qu'on ne relance pas par le budget: ce n'était pas bien. Ça, ce sont deux sottises- qui n'ont pas été faites. La Réserve fédérale, comme la Banque Centrale Européenne - il faut leur accorder cela,-les banques centrales en général ont ouvert leurs robinets à liquidités et pas qu'un peu. Les gouvernements mobilisent leurs finances publiques pour des volumes qu'on n'avait pas vus depuis très très longtemps. Donc tout, ce n'est pas mal...
... et ce qui aurait dû être fait pour arrêter la crise.
Ce n'est pas mal, mais ça ne fait pas le job, à mon avis. Et en particulier, ça ne fait pas le job du nettoyage des écuries bancaires. Il y a un plan qui avait été prévu, qui avait été lancé quelques semaines après le naufrage de Lehman Brothers qui est connu sous le doux nom de TARP, Troubled Asset Releve Program, qui était un moyen pour racheter les mauvais actifs qui plombaient les bilans des banques. Et c'est le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, qui avait eu cette fameuse idée. Il avait mis sur la table un petit paquet tout de même : il a mis 700 milliards de dollars. Ce n'est pas rien! Mon impression à l'époque, c'est que ces 700 milliards de dollars n'étaient pas adéquatement dépensés. Disons que, déjà, il aurait fallu arrondir à 1000 pour faire plus simple, mais surtout ce n'est pas aux banques qu'il fallait les donner. Il fallait renflouer les ménages pour renflouer les banques. Ca semble être une étape supplémentaire qui n'a aucun intérêt puisque à la fin des fins cet argent va bien revenir aux banques et pourtant cette étape supplémentaire changeait tout.
Elle changeait tout pour les raisons suivantes. La première chose, c'est que, si on faisait ça, on lissait la charge pour les finances publiques sur les calendriers initiaux des dettes immobilières, c'est-à-dire 20 ou 30 ans. Et sortir 700 milliards ou 1000 milliards de dollars sur 20 ou 30 ans ou bien les sortir sur trois mois, ça fait une sacrée différence pour les finances publiques ! Ça, c'était le premier point. Le deuxième point surtout, c'est qu'à partir du moment où on subventionnait les ménages, on les restaurait dans leur situation d'emprunteurs solvables, et donc surtout on rétablissait la continuité des paiements d'intérêt principal, la continuité des remboursements sur toutes ces dettes immobilières. Et ce faisant, on rétablissait instantanément à leur valeur initiale tous les actifs qui ont été dérivés par les mécanismes de ce qu'on appelle la « finance structurée », plus connue simplement sous le nom de « titrisation » et qui sont devenus des actifs extraordinairement toxiques du seul fait que précisément les remboursements étaient interrompus. Si les remboursements sont rétablis, alors les actifs retrouvent instantanément toute leur valeur puisque leur valeur repose sur cette continuité-même des flux de paiement. On effaçait donc d'un coup les pertes bancaires, on restaurait leurs bases de capitaux propres et les banques étaient instantanément remises en état de recommencer à prêter.
Je ne parle même pas des effets de légitimité politique de cette manœuvre. On a bien vu ce qui s'est passé lorsque que le premier plan Paulson a été lancé: il a été rétorqué en première lecture à la Chambre des représentants pour une raison extrêmement simple, c'est que les électeurs étaient vent debout. Les banques les ont surendettés, les ont foutus à la porte de leurs baraques, et voilà maintenant qu'elles appellent au secours avec l'argent des contribuables !... C'était un peu beaucoup.... alors que là, si l'on sortait les ménages de la mouise, évidemment, du point de vue de la légitimation politique, c'était d'une puissance absolument imbattable. ( à suivre...)