Deuxième partie de la transcription de l'interview de Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS, auteur de "Jusqu'à quand ? L'éternel de la crise financière". Version audio écoutable sur http://jaidulouperunepisode.org/004_Lordon_1_sur_4.htm
Résumé de l'épisode précédent : Octobre 2008. Pour enrayer la crise, il fallait, d'après Frédéric Lordon, renflouer les ménages, solution qui n'a pas été retenue...Novembre 2008 : trop tard ! La récession, machine à produire de la mauvaise dette, s'était mise en marche.... Suite de l'entretien....
Transcription 2/3 : Novembre 2008 : la récession, machine à produire de la mauvaise dette
Frédéric Lordon : Cette idée-là à mon avis avait de grandes vertus, mais elle avait une date limite de fraîcheur. A partir de la moitié ou de la fin du mois de novembre, c'était fini, ça ne marchait plus, et pour une raison simple, c'est qu'on est passé d'une situation où on avait juste des banques qui était en très très mauvais état - c'était gravissime , mais c'était encore gérable -, à une situation où le choc financier se propage dans tout le tissu de l'économie réelle. Et là on entre en récession franche.
Là, c'est une toute autre histoire pour une raisons extrêmement simple, c'est que la récession est une machine usine à produire endogènement de la mauvaise dette. Donc on avait à l'origine un stock de mauvaises dettes qui étaient de 700 milliards,des stocks de mauvaises dettes, des dettes immobilières, et puis les cartes de crédit, les prêts auto, les prêts étudiant... : on avait un stock relativement bien circonscrit, mais la récession le fait gonfler gonfler dans des proportions absolument incroyables et qu'on ne voit pas s'arrêter pour une raison très simple, c'est que d'abord la récession met des gens au chômage et ces gens-là sont encore moins capables de payer leur dette qu'ils ne l'étaient auparavant et surtout la récession met tout un tas d'entreprises sur le flanc ! Par conséquent, d'anciens business qui étaient tout à fait viables roulent au fond du ravin simplement du fait de la contraction générale de la demande, de l'impossibilité de renouveler les crédits, etc., etc. C'est comme une espèce de glissement de terrain, et sur le front du glissement de terrain, ça pousse des quantités de boue absolument extravagantes, et ça nous fait un talus de boue qui croît et embellit...
Et c'est la raison pour laquelle les gouvernements sont systématiquement à la ramasse, c'est-à-dire que leurs plans sont toujours à la rue parce qu'ils ont toujours un ordre de grandeur de retard. Il faut voir la dérive, c'est très impressionnant. Au mois d'octobre, le TARB, c'est 700 milliards de dollars; le plan qui a été lancé pour sauver les banques, le plan de Timothy Gardner, le nouveau secrétaire au Trésor de l'administration Obama, c'est 2500 milliards de dollars, et les gens pensent que ça ne va pas suffire.
C'est là qu'il y a quelque chose qui est tout à fait gravissime et qui frappe d'inefficacité les plans publics. Et ce qui est formidable d'ailleurs, c'est que là aussi, au moment où on parle, début mars 2009, il y a encore quelque chose à faire me semble-t-il, mais à quoi les gouvernements résistent pour la même raison générale qu'ils ont résisté au mois d'octobre à faire ce dont je viens de parler, et ce sont des résistances idéologiques. Au mois d'octobre, il était hors de question pour quelqu'un comme Henry Paulson, ex-président de Goldman Sachs, ministre des finances d'une administration républicaine, donc homme de droite jusqu'au bout des ongles, de sauver des agents économiques qui ne soient pas des banques. Les banques, on les sauve parce qu'ils ont bien compris tout de même que si ça crève, on crève tous derrière; les ménages, ça peut crever la gueule ouverte tout seuls. Ça, tout le monde s'en fout! Il y a un impensé vraiment radical dans la psyché économique aux États-Unis : si quelqu'un doit aller à la faillite, après tout, c'est plus ou moins de sa faute ! Après tout, ces ménages, ils n'était pas forcés de s'endetter comme ça ! Ils l' ont voulu, eh bien ils l'ont eu ! Et maintenant ils en supporteront les conséquences. Donc il n'est pas question que, ceux-là, on vienne les aider.
A suivre....