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Billet de blog 28 mai 2009

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Il faut dissoudre la Gauche ! ...ou prôner la désobéissance européenne....

Un gouvernement de Gauche pourrait-il mener réellement une politique de Gauche malgré la contrainte des traités européens ? Oui, répond le M'Pep ( Mouvement Politique d'Education Populaire), mais à condition de mettre en oeuvre la « désobéissance européenne ». C'est ce que nous dira aussi Aurélien Bernier, secrétaire national du M'pep, dans cet entretien réalisé avec lui le 15 Mai dernier....Un entretien détonnant !

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Un gouvernement de Gauche pourrait-il mener réellement une politique de Gauche malgré la contrainte des traités européens ? Oui, répond le M'Pep ( Mouvement Politique d'Education Populaire), mais à condition de mettre en oeuvre la « désobéissance européenne ». C'est ce que nous dira aussi Aurélien Bernier, secrétaire national du M'pep, dans cet entretien réalisé avec lui le 15 Mai dernier....Un entretien détonnant !

« En France, le mot « libéralisme » était imprononçable, alors on en a trouvé un autre: Europe ». Une phrase d'Alain Touraine. Denis Kessler, ancien n° 2 du MEDEF, lui, est plus rude et lucide encore : « L'Europe est une machine à réformer la France malgré elle ».

La contrainte européenne qui pèse sur les politiques nationales a-t-elle jamais été mieux soulignée que par ces propos? Et est-il possible de mener dès lors une politique réellement de Gauche dans le cadre européen ? C'est la question que pose le M'pep à l'ensemble des partis progressistes, et la réponse est pour lui à l'évidence négative. C'est pourquoi ce mouvement lance le débat et invite chacun à se positionner sur la nécessaire « désobéissance européenne ».

Entretien en deux parties, téléchargeable à partir de cette page : http://jaidulouperunepisode.org/007_Bernier_toutes_les_interviews.htm (16 minutes, puis 10 minutes)

Transcription pour ceux qui préfèrent lire :

Interview 1:

I

Pascale Fourier :Depuis quelque temps, le M'PEP, le Mouvement Politique d'Éducation Populaire développe un nouveau concept, la « la désobéissance européenne ». Qu'est-ce?...

La désobéissance européenne, une nécessité

Aurélien Bernier : Ce concept de désobéissance européenne, il faut d'abord le resituer par rapport à une analyse sur la construction européenne. Au M'PEP, on dit clairement que la construction européenne est faite pour empêcher toute politique de gauche. On le voit bien au quotidien avec les directives sur les services publics, sur le temps de travail, les directives sur les OGM:on a un carcan libéral qui a enfermé les Etats et qui aujourd'hui les empêche de mener une autre politique que l'ultra- libéralisme, « l'eurolibéralisme » comme on peut dire pour qualifier ce libéralisme à l'européenne. Et donc si on veut mettre en œuvre une véritable politique de gauche, il va falloir s'affranchir du cadre législatif européen et donc pratiquer ce qu'on a appelé la « désobéissance européenne ».

Désobéissance européenne et désobéissance civile

Pourquoi la désobéissance européenne? Pourquoi ce terme ? Parce qu'il renvoie, bien sûr, à la notion de désobéissance civile, qui elle-même renvoie à des personnages comme Gandhi, comme Martin Luther King, qui renvoie plus récemment à une toute autre échelle aux gens qui s'opposent aux OGM et qui transgressent la loi, puisqu'il va falloir transgresser la loi, les lois européennes, pour mettre en œuvre une politique de gauche.

Il y a des points communs avec la désobéissance civile et il y a des points de divergence. Je crois que le point commun, c'est de faire bouger les lignes, et de faire bouger les lignes dans le cadre d'un débat public. On ne peut plus supporter ce libéralisme qui s'impose aux Etats, y compris à des Etats qui voudraient mener des politiques de gauche. Il faut le dire, il faut dire pourquoi on est prêt à désobéir. En même temps, il y a une légitimité profonde puisque la notion d'obéissance suppose accepter des ordres, accepter d'aller dans une direction, mais accepter en connaissance de cause parce qu'on sait que ça va dans le bon sens. On sait que ça profite à l'intérêt général. Et obéir, c'est totalement différent de se soumettre. Parce qu'à partir du moment où les ordres, le mouvement qu'on doit suivre ne va plus dans le sens de l'intérêt général, on n'est plus dans l'obéissance, on est dans la soumission.

Mais la principale différence avec la désobéissance civile, c'est que la désobéissance civile met en cause la force contraignante de la loi, alors que la désobéissance européenne remettrait en cause la hiérarchie des lois : il s'agit de refuser que le droit européen s'impose et impose des politiques libérales aux Etats. Mais bien sûr on reste dans un système républicain où la loi nationale conserve toute sa valeur !

Pascale Fourier : Tout à l'heure, vous disiez que la construction européenne était faite pour empêcher toute politique de gauche. On pourrait vous dire : « Mais non, il suffit juste d'attendre que tous les pays européens ou une majorité de pays européens soient gouvernés par des gouvernements de gauche, et à ce moment-là il n'y a plus besoin de désobéissance européenne... Par nature, on arrivera à une construction sociale chère aux socialistes par exemple ! » . Non ?

L'urgente nécessité d'agir...

Aurélien Bernier : Ca, dans l'absolu, on peut toujours imaginer que ce soit possible... On peut rêver une Europe qui soit complètement différente... On peut rêver de gouvernements qui soient tous de gauche et qui soient tous d'une vraie gauche, pas de la social-démocratie qui s'accommode très bien du système... Mais le fait est que ce n'est pas le cas. Et qu'on ne peut que constater que, depuis des années, des décennies, on construit une Europe de plus en plus libérale, avec des directives de privatisations, avec la directive Bolkenstein, avec des directives qui mettent en place le marché du carbone qui empêchent toute fiscalité écologique. Voilà véritablement le sens de la marche.

Et donc la question, c'est de savoir jusqu'à quand on peut tolérer ça. Est-on prêt effectivement à attendre que nos rêves se réalisent, parce qu'on rêve tous évidemment d'une Europe solidaire et démocratique où les peuples pourraient s'exprimer et où la politique européenne serait représentative du souhait des peuples ! Mais s'il faut attendre 20, 30, 50 ou 100 ans que cette situation-là se présente, entre-temps, on aura continué à détruire le social, à détruire l'environnement, à détruire les solidarités. Je crois qu'aujourd'hui on ne peut plus attendre, et la crise dans laquelle on est entré a encore renforcé ce sentiment. Les choses s'aggravent à une vitesse incroyable ! Le dernier scandale en date est quand même le refus de l'Union Européenne d'entendre l'expression démocratique des peuples, le peuple français quand il a voté Non, le peuple néerlandais, et maintenant le peuple irlandais. Et on voit bien qu'on est dans une machine infernale qui va vers toujours plus de libéralisme et qui s'affranchit totalement de la souveraineté populaire.

Faire une politique de Gauche est incompatible avec les textes européens.

Donc il faut agir et on est dans une situation qui peut se résumer assez simplement: on a une gauche de gauche dans un certain nombre de pays qui fait des propositions tout à fait intéressantes; mais si on prend ces propositions et qu'on les pointe une par une et qu'on regarde si elles sont compatibles ou non avec le droit européen, eh bien il y en a peut-être, allez 5 % qui au final seront compatibles avec le droit européen, c'est-à-dire que sur un programme progressiste 95 % des décisions ne pourraient pas être appliquées parce que l'Union Européenne empêcherait l'ensemble de ces propositions. Donc à partir de là, pour une gauche de gauche, aujourd'hui, qu'il y a deux solutions:soit elle continue à décrire un monde idéal dans lequel on rêve tous de vivre et qui verra peut-être le jour dans quelques des décennies -ou peut-être pas; soit elle dit que, pour mettre en œuvre son programme politique, il faudra pratiquer la désobéissance européenne et qu'elle est prête à la pratiquer.

Je crois que la volonté du M'PEP, c'est vraiment de mettre ce débat sur la table parce que c'est le débat central. C'est pour cela que la gauche est complètement prisonnière... Elle est complètement dans l'échec aujourd'hui parce qu'elle refuse de poser ce débat sur la table. Et une fois qu'on l'aura posé, on verra bien quels sont les partis qui acceptent l'idée de la désobéissance européenne et ceux qui ne l'acceptent pas. Et là on pourra trier, et là on pourra savoir pour qui voter.

Pascale Fourier : Et concrètement cette désobéissance européenne pourrait prendre quelle forme ?

Aurélien Bernier : Concrètement, il y a plusieurs niveaux :une désobéissance européenne défensive et une désobéissance européenne offensive.

Désobéissance défensive... et offensive

La désobéissance européenne défensive, ce serait de faire de la résistance, de refuser la transcription en droit national des directives libérales. Quand on dit « les directives libérales », ça en fait beaucoup... Il y a donc déjà de quoi faire... Ce sont les directives de libéralisation, la dérégulation du marché de l'énergie par exemple, la directive Bolkenstein, la directive sur les OGM, celle qui instaure le marché des droits à polluer... Enfin il y a largement de quoi faire !

Mais ce n'est pas suffisant parce que là on est simplement dans la résistance. Il faut également une désobéissance européenne offensive, c'est-à-dire une désobéissance qui permette de reconquérir du terrain, de reconquérir ce qu'on a perdu à travers quelques décennies de libéralisme effréné; donc c'est reconstruire des services publics, des services publics qui ont été privatisés, libéralisés; c'est créer de nouveaux services publics pour répondre à de nouveaux besoins; c'est par exemple faire une loi nationale qui interdise définitivement la culture d'OGM et pas simplement utiliser une tolérance que permet la directive européenne pour momentanément éviter qu'on ait des OGM pendant un an ou deux, mais vraiment faire une loi d'interdiction comme le veut la majorité des citoyens. Voilà, c'est vraiment reprendre la main et pouvoir mettre en œuvre des politiques de gauche et construire. On n'est pas simplement dans la résistance, on est dans la construction.

Et bien sûr ça veut dire qu'on serait attaqué par l'Union Européenne qui ne pourrait évidemment pas supporter qu'on crée du droit qui soit contraire au droit européen. Et qui dit désobéissance européenne, dit bien sûr refuser de payer des astreintes, puisqu'on serait condamné à des restreintes, et évidemment il s'agirait de refuser de les payer.

Le dernier exemple qu'on peut donner est un exemple qui concerne la politique agricole par exemple où l'Union Européenne fait la promotion d'une agriculture intensive qui utilise des quantités phénoménales de produits chimiques qui polluent, une agriculture qui produit des aliments de mauvaise qualité, qui détruit la paysannerie... Il est évident qu'il serait hors de question d'abonder le budget de la politique agricole commune pour mener ce genre de politique. Donc la dernière façon de désobéir, ce serait de ne plus donner d'argent pour pratiquer ces politiques libérales et donc d'utiliser ces moyens financiers autrement. Par exemple au niveau agricole en développant une agriculture respectueuse de l'environnement, une agriculture paysanne, en réorientant la production pour aller vers plus d'autonomie, et puis en développant aussi des coopérations avec d'autres Etats puisque, bien sûr, l'idée ce n'est pas de se replier sur des frontières nationales: ce n'est pas parce qu'on s'affranchit du cadre de cette Union Européenne -qui est une construction européenne parmi d'autres qui auraient été possibles... On ne va pas se replier ! Il faut créer de nouvelles alliances, et donc on pourrait comme ça développer de nouvelles alliances, développer des partenariats agricoles par exemple avec d'autres pays qui seraient sur la même ligne, et d'ailleurs qu'ils soient dans l'Union Européenne actuelle ou non.

Libre-échange...

C'est la même chose en matière de fiscalité où aujourd'hui il est clairement exclu de prendre des mesures protectionnistes dans le cadre de l'Union Européenne. On voit très bien à quoi conduit le libre-échange. Nous avons à affronter une désindustrialisation qui est absolument catastrophique. Les grandes multinationales vont s'implanter dans des pays à bas coûts de main-d'œuvre où on a quasiment aucune protection environnementale.. Elles vont donc polluer loin, mais vont polluer autant qu'elles veulent... On voit bien les conséquences sur l'emploi, les conséquences sociales, dans les pays industrialisés. Et ce libre-échange mène également à une perte de contrôle démocratique sur la production. Parce que, bien sûr, une usine qui est implantée en Chine, on ne peut pas la contrôler démocratiquement, on ne peut pas influencer les choix de production, on ne peut pas influencer les méthodes de production. Et donc il faut casser cette spirale libre-échangiste.

Et le seul moyen, c'est de mettre en place une nouvelle forme de protectionnisme, qui soit un protectionnisme écologique et social, c'est-à-dire qu'on taxe les importations sur la base de critères environnementaux et sociaux. Ca, c'est un exemple, peut être un des meilleurs exemples, du besoin de pratiquer la désobéissance européenne. Parce qu'un tel protectionnisme ne verra jamais le jour au niveau de l'Union Européenne: il faudrait d'abord que les 27 Etats soient d'accord et puis en plus que la Commission européenne en ait envie.... Donc il faudra le pratiquer à une autre échelle, et si un État voulait mettre en place ce type de mesure, il lui faudrait faire de la désobéissance européenne.

Pascale Fourier : Finalement, vous proposez quelque chose qui se fait au plan national, si j'ai bien compris ( même si ensuite ça peut être des décisions conjointes de différents Etats qui peuvent toujours tomber d'accord pour faire la même chose). On pourrait vous dire que finalement vos propositions remettent d'une certaine façon en cause l'Europe elle-même. Or l'Europe est en elle-même un bien, du moins c'est ce que je comprends en écoutant les médias d'une façon générale et les politiques. Je suis donc un peu surprise parce que ça risque vraiment de mettre en cause cette construction qui a demandé beaucoup d'efforts et qui est une nécessité...

UE, le débat émotionnel

Aurélien Bernier : Alors ça, c'est une illustration d'un amalgame qui est absolument insupportable, qui est un amalgame entre l'idée d'Europe et la construction européenne qu'on subit qui est cette Union Européenne qu'on a construite. Évidemment l'idée d'Europe a toujours un sens ! Evidemment l'idée de solidarité de coopération entre les peuples a toujours du sens, l'idée d'éviter les guerres, l'idée d'éviter les crises a du sens. Mais si on regarde l'histoire de l'Union Européenne, on voit que ce n'est absolument pas le cas. L'union européenne n'a pas évité les guerres: on a eu une guerre terrible en ex-Yougoslavie, et l'Union Européenne n'a absolument pas évité ça. L'Union Européenne n'évite pas les crises, sinon on ne connaîtrait pas la crise dans laquelle on est. L'Union Européenne ne permet pas d'aller vers plus de solidarité: au contraire on a une mise mise en concurrence entre les peuples, entre les économies, on va mettre en concurrence des pays d'Europe de l'Est avec un coût de main-d'œuvre faible avec les pays industrialisés - et on tire tout vers le bas.

Je crois qu'il faut absolument sortir de ce débat émotionnel où les européistes essaient toujours de ramener sur le terrain émotionnel, bien sûr. Il faut avoir une analyse objective des politiques européennes. Alors pour prendre un exemple, ce qui formidable, c'est en matière d'environnement, parce que, quand on regarde les discours des représentants de l'Union Européenne, on a l'impression qu'ils sont plus écolo que Nicolas Hulot et All Gore réunis. Mais quand on regarde les politiques de l'Union Européenne, on est dans l'agriculture intensive, on est de la promotion des OGM, on est dans le libre-échange donc dans la consommation effrénée d'énergie et donc on est dans la destruction de la planète. Et je crois que sur tout ces sujets, il faut faire un examen objectif des politiques européennes... On n'est pas bien sûr contre l'idée de solidarité, l'idée d'empêcher les guerres, l'idée que les peuples échangent, communiquent, commercent même. Mais on est bien dans l'examen objectif des politiques européennes. Cette construction est une construction ultralibérale et donc, si on veut une autre Europe, il va falloir changer non pas l'Europe, mais changer d'Europe et peut-être reconstruire quelque chose de haut en bas pour aller vers l'Europe qu'on souhaite.

Interview2

Pascale Fourier : Au moins une fois dans la partie de l'entretien qui précédait, vous avez utilisé la notion de « souveraineté nationale », si je ne me trompe pas. On ne peut pas dire que ça m'étonne, mais certains pourraient vous dire que la souveraineté nationale n'a plus lieu d'être, que ce qu'il faut construire, c'est la souveraineté européenne.

Pouvoir peser à nouveau sur le cours des choses

Aurélien Bernier : Moi, je serais tout à fait d'accord pour construire une souveraineté européenne. Ca ne me cause aucun problème. Le problème, c'est de savoir dans quel délai c'est réalisable. Et ce qu'on constate, c'est que la construction européenne s'est faite sans les peuples, même si a une certaine époque, à la limite, ça pouvait s'entendre puisqu'on sortait de la guerre et que les choses ne se seraient peut-être pas faites si on s'était appuyé sur les peuples. Mais c'est beaucoup moins excusable au jour d'aujourd'hui de continuer à construire une Union Européenne qui se fasse non seulement sans les peuples, mais contre l'intérêt des peuples.

Même si on peut le regretter, le seul niveau auquel on a encore accès à une souveraineté populaire, c'est l'État. Et c'est bien pour cette raison-là que l'objectif prioritaire, c'est de reconquérir cette souveraineté populaire. Et je crois qu'à partir du moment où on aura récupéré cette possibilité d'agir sur le cours des choses, que le peuple pourra agir sur le cours des choses, on pourra envisager de construire une souveraineté populaire supranationale qui ne doit pas forcément s'arrêter à l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, aux 27 états, qui peut aller bien plus loin. Mais ça, c'est quasiment de la politique-fiction. Aujourd'hui, ce qui importe, c'est que, quand on vote à une élection nationale, on désigne des représentants du peuple qui soient en mesure de mettre en œuvre la politique pour laquelle ils ont été élus. Et ça, l'Union Européenne l'empêche. C'est donc dans ce sens-là que la reconquête de la souveraineté populaire est un objectif prioritaire. Et ce n'est absolument pas du nationalisme, ce n'est absolument pas du souverainiste comme on peut taxer de « souverainisme » certains personnages de droite. C'est vraiment redonner le pouvoir au peuple, redonner un sens au mot « démocratie ».

Pascale Fourier : Finalement, l'expression de la souveraineté nationale, c'est effectivement ( j'allais dire: « ce que vous, vous, français »... mais c'est un peu ça si on se pose en tant que pro-européen viscéral) ce que vous, français, ainsi que les hollandais vous avez mis en avant justement en 2005. Mais du coup, pour ainsi dire, vous vous êtes mis en marge, vous n'avez pas joué le jeu, vous n'avez pas joué le jeu européen. On doit pouvoir faire autre chose! Ce n'est comme ça que ça pourra évoluer, aller vers quelque chose de positif...

Aurélien Bernier : Encore une fois, ça dépend de quel jeu on parle. On ne peut pas parler de l'Union Européenne sans parler des politiques qui sont menées. Si la France, si les Pays-Bas et si l'Irlande ont dit Non au traité constitutionnel européen ou au traité de Lisbonne, c'est bien un refus des politiques qui sont menées. Or, ce n'est encore une fois pas un refus de la paix, de la coopération entre les peuples, ce n'est pas un refus de l'idée d'Europe, c'est un refus de ce modèle-là ultra-libéral qui nous est imposé.

Reconquérir la souveraineté populaire

Pascale Fourier : Oui, mais quand même, le Parti Socialiste ou des mouvements comme Attac revendiquent une Europe sociale, écologique, démocratique. Ca me semble un peu iconoclaste que de dire, que de sous-entendre, qu'il n'est vraiment décidément pas possible que cette Europe advienne....

Aurélien Bernier : Il ne s'agit pas de dire que ce n'est pas possible. Je ne sais pas si c'est possible ou pas. Ce que je constate, c'est que ce n'est pas le cas. Et donc il n'y a pas 36 solutions: soit on attend que ce soit le cas (on n'est pas obligé d'attendre de façon passive et je ne pense pas que les gens que vous ayez cités attendent de façon passive), soit on se dit qu'il y a peut-être un autre niveau d'intervention, une autre échelle, qui serait plus efficace pour reconquérir cette souveraineté populaire. Et le fait est qu'il n'existe pas d'exercice de la souveraineté populaire au niveau européen et que donc tout est à construire. Il y a peut-être des gens très efficaces, très performants, qui envisagent de construire ça très rapidement, mais moi j'ai l'impression que c'est quelque chose qui prendra au moins quelques décennies. Il y a des niveaux où existe un exercice de la souveraineté populaire, où existent des institutions pour faire fonctionner la démocratie - ce qui n'existe donc pas au niveau de l'Union Européenne. Et ce fonctionnement est bloqué parce que ces Etats se sont soumis - et une bonne partie volontairement - au droit communautaire, au carcan libéral de l'Union Européenne. Et donc restaurer une souveraineté populaire au niveau d'un État où les outils existent pour la faire fonctionner paraît beaucoup plus envisageable et en tout cas beaucoup plus rapide que de tenter de le faire au niveau européen où tout est à créer. Et donc c'est bien pour cela que la désobéissance européenne prend tout son sens, puisqu'il s'agit de faire exploser ce carcan et de redonner aux Etats les moyens d'agir en dehors du cadre européen.

Pascale Fourier : « Exploser ce carcan », ou exploser l'Europe ?

Imaginaire... et réalité...

Aurélien Bernier : Non, c'est bien exploser ce cadre, qui est celui de l'Union Européenne et qui pratique le néolibéralisme comme aucun État de la planète ne le pratique. L'Union Européenne a une ferveur libérale encore plus exceptionnelle que celle des États-Unis, ce qui n'est quand même pas peu dire. Et c'est bien cette construction européenne-là qu'il s'agit de remettre en cause, et encore une fois pas l'idée d'Europe avec ce qu'elle peut contenir de paix, de solidarité -ce qui est oublié depuis longtemps parce qu'on a remplacé cette idée-là par la guerre économique, par la libre concurrence, le libre-échange, la destruction des acquis sociaux.

Il faut qu'on arrive à montrer que le débat est faussé parce qu'on mélange un imaginaire avec une réalité, une construction économique, une construction politique qui se fait en balayant la démocratie. Et ça, c'est vraiment l'enjeu principal, parce que cet amalgame fait effectivement que, quand vous parlez de désobéissance européenne, quand vous parlez de changer d'Europe, de tout reconstruire parce que celle-ci est absolument insupportable, on voit sortir des termes comme « nationalistes » ou « souverainistes »... Mais « souverainiste », si c'est défendre l'exercice la souveraineté populaire, oui, il faut être souverainiste à ce moment-là ! Il ne faut pas non plus se laisser piéger par les mots !

Pascale Fourier : Aurélien Bernier j'ai bien suivi tout ce que vous avez raconté...., mais disons que pour l'instant le M'PEP n'a peut-être pas un poids politique extrêmement important.... Qui pourrait vous suivre sur ce que vous proposez ?

Poser la bonne question

Aurélien Bernier : Ca, c'est la grande question. D'abord, je pense qu'il n'est pas besoin d'avoir un poids politique extrêmement important pour poser des bonnes questions. Et je pense qu'on en pose une qui peut être gênante pour certaines personnes, mais qui est bonne.

Notre ambition c'est bien sûr de mettre ce débat sur la table, d'en parler, d'en débattre avec la population, d'en débattre avec les partis politiques, d'expliquer aussi cette notion de « désobéissance européenne » parce que ce n'est pas quelque chose qu'on est habitué à entendre. Et ce débat, on verra bien qui s'en empare qui se positionne par rapport à ces questions.

Et moi je pense que la « gauche de gauche », comme on dit, encore une fois va aux élections avec un programme qui est inapplicable sans pratiquer la désobéissance européenne. Et ça, ils le savent ! Il faut arrêter...: ils le savent tous ! Quand on propose par exemple d'interdire les OGM dans un programme électoral, on sait très bien que c'est infaisable dans le cadre des institutions européennes – et il faut donc pratiquer la désobéissance européenne. Sauf que les partis politiques, et je dirais même les syndicats, parce que les syndicats seraient aussi concernés, ne le disent pas. Parce qu'ils ont toujours cette peur que l'opinion publique soit réticente, qu'ils ont peur de se faire piéger dans ce débat de mots dont on parlait tout à l'heure, de se faire piéger en se faisant taxer de « souverainistes », de « nationalistes », de tout ce que vous voulez, des choses qui ne tiennent pas la route une seconde, et dont ils ont peur.

Oser la désobéissance européenne

A un moment donné, il va falloir franchir ce pas et assumer le fait de dire: « Oui, si on est élu, eh bien on désobéira ! On fera de la désobéissance européenne pour mettre en œuvre le programme sur lequel on a été élu ». Et tant que la gauche de gauche n'ira pas jusqu'au bout, je pense qu'il y aura une incohérence dans son discours parce qu'elle continuera à décrire ce monde antilibéral, progressiste, solidaire, écologique tout ce qu'on veut, dans lequel on aimerait tous vivre, mais elle n'expliquera pas aux gens qui votent pour elle comment on passe du monde dans lequel on est, ultra-libéral, avec ce carcan européen, à cette société meilleure.

Et donc on souhaite que cette idée de la désobéissance européenne fasse son chemin et qu'un jour elle soit intégrée dans un programme et que des partis, des mouvements, aillent aux élections en disant : « Oui, nous, on est prêts à désobéir pour mettre en œuvre notre programme ». Évidemment, si ces partis se font élire sur la base d'un tel programme, alors on aura toute légitimité pour mettre en œuvre cette désobéissance européenne, et on peut même imaginer sur certains sujets particulièrement importants de convoquer des référendums pour savoir si oui ou non on accepte de se soumettre encore une fois au droit européen - à un droit qui est profondément libéral et qui empêche et qui empêcherait un parti de gauche au pouvoir de mettre en œuvre ses politiques.

De toutes façons, le débat se posera, c'est-à-dire que, pour l'instant, les partis le fuient, les syndicats également, mais il se posera. Parce que, depuis le Traité constitutionnel européen, on ne fait qu'expliquer aux populations que le parlement national passe 80 % de son temps à transcrire du droit européen, que les 20 % qui restent, comme l'a très justement dit Jean-Luc Mélenchon, doivent également être compatibles à 100 % avec le droit européen- et donc les gens ont parfaitement compris qu'il n'y avait plus de marges de manœuvre au-delà du droit communautaire, et donc que l'Union Européenne imposait, dictait les politiques aux Etats-membres. Soit on dissout la gauche - soit on renonce à jamais à mener des politiques de gauche- , soit il faudra absolument, obligatoirement, parler de désobéissance européenne....

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