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Billet de blog 29 avril 2009

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Frédéric Lordon: l'urgente nécessité de la nationalisation intégrale des banques (3/3)

Résumé des épisodes précédents: En Octobre 2008, il aurait fallu, pour arrêter la crise, renflouer les ménages. Ce choix n'a pas été fait.... En Nombre 2008, une telle mesure ne pouvait plus être prise: la crise financière s'était transformée en récession, machine à créer de la mauvaise dette. Une seule solution existait alors: la nationalisation intégrale du système bancaire....

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Résumé des épisodes précédents:

En Octobre 2008, il aurait fallu, pour arrêter la crise, renflouer les ménages. Ce choix n'a pas été fait.... En Nombre 2008, une telle mesure ne pouvait plus être prise: la crise financière s'était transformée en récession, machine à créer de la mauvaise dette. Une seule solution existait alors: la nationalisation intégrale du système bancaire....

3° et dernière partie de la transcription de l'interview que Frédéric Lordon m'avait accordée le 6 Mars dernier que l'on peut écouter là: http://jaidulouperunepisode.org/004_Lordon_1_sur_4.htm

Trancription 3/3 : L'urgence de la nationalisation intégrale des banques

Frédéric Lordon : Actuellement, on se heurte à une autre sorte de réticence idéologique qui tient au fait que, à mon sens, la clé de la sortie de crise ou au moins de l'amélioration des choses, c'est la nationalisation - mais la nationalisation intégrale du système bancaire ! Et pour une raison simple qui est la suivante, c'est que tout le monde se scandalise, gouvernement en tête, qu'on donne plein d'argent aux banques à seule fin de le voir reprêté et elles ne prêtent rien - j'exagère, elles prêtent toujours un peu, mais elles prêtent beaucoup moins que ce qu'on attendrait. Et on met ça sur le compte du mauvais vouloir bancaire. C'est une erreur totale ! Je mets de côté quelques cas de crapuleries avérées... Aux États-Unis, il y a quelques affaires bien crapoteuses qui sont sorties et qui concernent des banques de premier rang : je pense à J. P. Morgan en particulier... Mais laissons ça de côté. Même pour des banques qui voudraient jouer le jeu rubis sur l'ongle, on peut les supplier autant qu'on veut, elles ne prêteront pas, pour la raison que, confrontées à un environnement économique aussi puissamment adverse, se mettre à reprêter tout seul pour soutenir la conjoncture avec ses petits bras musclés, c'est une entreprise qui est vouée à l'échec. Elle est vouée à l'échec parce qu'elle est à peu près certaine de voir ces nouveaux crédits mis en circulation tourner en mauvaises dettes, tout simplement par le mécanisme que je mentionnais tout à l'heure, par le fait que la récession écrabouille absolument tous les agents économiques.

En revanche, il y a une manœuvre qui serait possible et qui pourrait être couronnée de succès, ça serait que les banques se mettent toutes à prêter simultanément. Si elles le faisaient, évidemment elles créeraient les conditions de possibilité de leur succès collectif: à partir du moment où elles se remettraient toutes à prêter, alors toute l'économie serait à nouveau irriguée de ses volumes de crédit habituel et donc tous les cycles de production repartiraient de nouveaux, toutes les dynamiques offre-demande seraient ré-enclenchées, etc. Et toute cette affaire a des propriétés d'auto-validation, c'est-à-dire que les nouvelles dettes qui seraient émises par ce mouvement-là resteraient dans le statut de bonnes dettes et ne tourneraient pas instantanément en mauvaises dettes comme c'est le cas actuellement lorsque ce sont des banques séparément qui essaient de faire un petit quelque chose dans un coin.

Et donc voilà le problème: le problème, c'est que, pour réussir, la manœuvre nécessite d'être parfaitement coordonnée à l'échelle de l'ensemble du système bancaire, pour que ça ait un impact macro-économique bien sûr. Or la coordination à l'échelle macro-économique, c'est ce que par construction, par définition, l'économie de marché ne sait pas faire. C'est la définition même de l'économie de marché: l'économie de marché, c'est une économie dans laquelle les agents prennent leurs décisions sur une base privative totalement autonome et hors de toute coordination centrale. Donc, pour chaque banque séparément, la solution rationnelle, c'est d'attendre que les autres fassent le premier pas pour suivre à son tour. Et comme toute les autres banques font le même raisonnement, alors chacun reste les deux pieds dans le même sabot et il ne se passe rien.

La conclusion qui s'ensuit, c'est que ce que la main invisible du marché ne peut pas faire, une main visible peut le faire, elle. Et des mains visibles capables de produire cet effet de coordination à une échelle pareille, il n'y en a pas 36, il n'y en a qu'une: c'est celle de l'État. Conclusion : prise des commandes, prise des commandes de la totalité du système bancaire. Et pour prendre les commandes de la totalité du système bancaire, il n'y a pas 36 formules non plus, c'est la nationalisation, mais intégrale.

... et les réticences idéologiques.

Et c'est là qu'on revient la réticence idéologique. Je pense que les États-Unis vont devoir nationaliser, mais ils vont le faire la pire des manières et avec vraiment la mauvaise logique en tête. Ils vont le faire parce qu'ils escomptent que la nationalisation sera l'instrument pour sauver des banques de l'insolvabilité à laquelle elles courent à vitesse grand V. City Group va être nationalisé : il est déjà à hauteur de quasiment 40 %, comme Northernrock l'a été, comme Bradford... On y va tout droit. Mais ça va être des nationalisations de banque, c'est-à-dire des banques au cas par cas. Et celles qui sont saines, ou celles qui sont moins sub-claquantes, on les laissera au secteur privé souverain et triomphal...Or si on ne nationalise que quelques banques dans cette pure logique de sauvegarde, pour les tirer de l'insolvabilité, etc., etc., alors on loupe tout de l'effet dont je suis en train de parler, c'est-à-dire de cet effet de coordination à l'échelle d'un secteur tout entier.

Cette idée de la nationalisation intégrale, la pensée économique américaine y est absolument rétive. Il faut voir en ce moment ce qui est en train de se passer aux États-Unis: il y a un débat qui est absolument surréaliste. C'est un mot qui leur fait tellement peur qu'ils n'osent même pas le prononcer... Comme toujours aux États-Unis, quand on n'ose pas prononcer un mot, on dit juste la première lettre... Ils disent le « N word », le mot qui commence par N. « Nationalisation », c'est tellement moche ! ... Et les débats sont invraisemblables ! Ben Bernacki va devant le Congrès pour jurer qu'on ne va pas nationaliser. Timothy Gardner le contredit en même temps. Enfin, prendre des participations dans des banques, c'est nationaliser, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt ! Il y a un débat sur le thème de savoir si nationaliser est conforme aux valeurs américaines. Mais c'est un débat... de mormons ! On a l'impression de voir des mormons en train de se demander s'il faut transfuser le grand blessé... Le gars saigne à gros bouillons, mais peut être que le bouche-à-bouche suffira... C'est complètement dingue ! Par exemple, Paul Krugman fait sa chronique habituelle dans le New York Times et il dit : « Non, nationaliser, il faut le faire, d'ailleurs nationaliser ce n'est pas « unaméricain », ça n'est pas contraire aux valeurs américaines, c'est aussi américain que la tarte aux pommes ». Vous voyez où on en est.

Et ce que je crains, c'est que d'abord les forces de la crise vont leur tordre les bras, ils devront donc le faire, mais il le feront mal, et ils le feront trop tard. Et on voit bien ce que ça fait les occasions loupées. On a vu ce que ça faisait avec le plan Paulson première manière au mois d'octobre. Les fenêtres se referment et l'histoire ne repassent pas les plats. Ou alors si elles se rouvrent et c'est avec un problème qui a doublé ou triplé de taille. Donc à force de les voir passer sans réagir, ça risques de finir assez mal cette histoire... C'est pour ça qu'il s'agirait que ce débat progresse un peu plus vite. ( Fin )


Et depuis, l'idée de cette nationalisation des banques fait son chemin.... Mais il faut relire l'avant-dernier § de la transcription....

Références d'actu :

http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/services-financiers/200904/21/01-848796-fmi-la-nationalisation-des-banques-peut-etre-une-solution.php

http://www.slate.fr/story/4463/elysee-banques-nationalisations-france

http://www.lefigaro.fr/economie/2009/04/22/04001-20090422ARTFIG00297-crise-financiere-une-facture-a-4054-milliards-de-dollars-.php

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