Communisme clé en main ?
J'entends des camarades qui critiquent sans nuances le projet de base commune. Ils déclarent qu'il n'a pas de vision stratégique, qu'il ne donne pas une définition détaillée de ce communisme dont il parle, qu'il ne parle pas du bilan, ni du « problème de direction ». Je ne comprends pas ces critiques.
Pas de vision stratégique ? Le projet de base commune propose de contribuer à la mise en mouvement consciente majoritaire des couches sociales dominées par le capital, comme par le patriarcat ou le racisme, pour la conquête la plus large possible et diversifiée de pouvoirs dans dans tous les domaines de la vie sociale. Il met comme perspective à son action l'épanouissement de chaque personne humaine, en libérant la société par un processus de dépassement du capitalisme et du patriarcat. Inutile de continuer à paraphraser le texte qui nous est proposé. Quiconque lit sans oeillères le préambule, et les 22 premières thèses constate qu'il y a bien une proposition stratégique claire et révolutionnaire, dans sa déclinaison nationale comme dans sa déclinaison internationaliste.
Pas de définition détaillée du communisme ? Que penser de ce reproche ? Les camarades qui l'expriment ont-ils l'intention de présenter au peuple, qui n'aurait plus qu'à s'en saisir, un projet de société communiste tout ficelé? Cette conception a une dimension stratégique, précisément celle qui a fait son temps, d'un parti communiste omniscient, un pas en avant des masses, brandissant haut le drapeau rouge pour que les exploités s'y rallient. Elle trahit, à mon avis, une sous-estimation grave de l'initiative populaire consciente sans laquelle aucun progrès révolutionnaire ne peut advenir. En fait, la stratégie proposée par le projet de base commune contient en germe ce communisme de nouvelle génération qui aura à la fois des traits universels : démocratie, égalité, pouvoirs populaires, etc., et des traits spécifiques, imprévisibles, qui dépendront de l'histoire de notre pays, de ses caractéristiques sociales, de l'environnement européen et mondial au cours d'un processus historique dont le parti communiste a l'ambition d'être le catalyseur. Immense ambition, mais qui exclut toute prétention à une direction hégémonique à laquelle « les masses » n'auraient qu'à se rallier. Immense ambition, qui implique la recherche obstinée de convergences, d'alliances, de luttes communes, avec des forces qui n'ont pas le même agenda que nous, mais dont la contribution est indispensable à toute avancée concrète vers le dépassement du capitalisme, la révolution écologique pour la survie de l'humanité et la fin du patriarcat. C'est pourquoi la thèse 20 énonce à juste titre : « C’est dans les luttes concrètes, sur tous les terrains, que se construisent les possibilités d’un dépassement réel du système capitaliste. » Placer l'identité et la visibilité du PCF au premier plan aboutirait à brouiller l'identité et obscurcir la visibilité effective de ce dernier, qui ne se décrètent pas, mais se prouvent dans l'action concrète pour rassembler autour d'objectifs comme les cinq priorités énoncées à la thèse 22, auxquelles d'ailleurs le débat entre nous peut très bien rajouter, par exemple, la lutte contre les coûts du capital, mentionnés par ailleurs dans la proposition de base commune.
Pas de bilan et pas de « problème de direction » ? Avancer de telles critiques au projet de base commune relève de la myopie. Qu'on relise la thèse 29 par exemple. La question difficile et complexe du choix de candidature présidentielle a-t-elle correspondu ou non aux orientations du congrès précédent ? Qui peut jurer qu'une candidature communiste en 2017 aurait mieux servi nos objectifs, dans les conditions qui prévalaient en novembre 2016, que le soutien à la candidature de Mélenchon, malgré tous ses inconvénients ? Faut-il imputer à la direction nationale l'orientation préoccupante et la volonté de nuire au PCF qui ont été des choix ultérieurs de celui qui aurait dû être le candidat de l'unité populaire? Le résultat de JLM, dû pour une part indiscutable à la campagne du PCF – qui aurait dû être davantage critique sur ses orientations – n'a-t-il pas marqué, malgré les ruptures de JLM avec des aspects importants du programme du Front de Gauche, une avancée de l'opinion de gauche sur une série d'orientations anti-libérales ? Que l'élection présidentielle donne à JLM des atouts pour poursuivre des objectifs discutables, insuffisants, voire dangereux, est un fait. Imputer ces circonstances à la direction nationale en lieu et place des responsabilités de JLM, comme de l'activité incessante de la classe dirigeante et de Macron pour nous affaiblir est selon moi une erreur. Il est tout à fait vrai que bien des media, privés mais aussi hélas publics, font tout pour faire croire à notre disparition, et ériger les Coquerel, Corbières, sans parler de Mélenchon, comme les seuls représentants de l'opposition de gauche à Macron. Imputer cet état de fait, qui est une négation du pluralisme et du droit à l'information honnête, à la direction nationale du PCF est une étrange conception. C'est un aspect de la lutte des classes acharnée qui se livre pour occulter les perspectives d'avenir que propose notre parti.
La proclamation répétée de la nécessité du parti communiste, l'affirmation répétée de son identité, lorsqu'elles s'accompagnent d'un retour plus ou moins déguisé à la conception du parti guide qui a contribué aux échecs historiques du communisme soviétique nient en fait la nécessité du parti communiste du XXIème siècle, et déforment son identité au risque de lui redonner celle des échecs du XXème siècle.
Dernière remarque : le projet de base commune insiste plusieurs fois sur l'indispensable conscience que doivent avoir de leurs actes et de leurs buts les acteurs populaires d'un mouvement politique révolutionnaire. Cette insistance montre assez la divergence du projet de base commune avec tout projet politique qui ferait de préférence appel à l'affect, à l'inconscient, ou à la fascination pour un dirigeants charismatique.