Mélenchon et mai 68 :
On lit dans texte de Mélenchon (« La construction d’un peuple révolutionnaire n’est pas un dîner de gala. ») le passage suivant sur Mai 68 :
« En ce qui concerne les plus âgés, c’est le moment de disperser les illusions sur Mai 68. Les leaders qui sont mis en exergue aujourd’hui n’ont jamais cessé d’être des commensaux du système. Or, il ne faut pas perdre de vue que Mai 68, c’est d’abord une grande révolution ouvrière. C’est 10 millions de travailleurs qui se mettent en grève. Pourtant ils sont éjectés du tableau, comme s’ils n’existaient pas. Et dans la célébration, ou la commémoration de Mai 68, on ne montre que des personnages aussi ambigus et conformistes que Romain Goupil ou Daniel Cohn-Bendit. C’est une génération de gens qui n’ont jamais été autre chose que des libéraux-libertaires, petits bourgeois confits d’un égoïsme hédoniste sans borne, et sans danger pour le système. Ils sont restés conformes à ce qu’ils étaient. Dans la représentation de Mai 68, les médias se régalent de leurs prestations qui permettent d’effacer la réalité de classe de 68. Ils aiment montrer que la lame est définitivement émoussée. La preuve ? Leurs héros de pacotille s’en amusent eux-mêmes. Goupil ne supporte plus les militants, Cohn-Bendit les vomit…
...Et il aura fallu la grève générale de Mai 68 pour brasser la conscience populaire assez profondément. »
On ne peut qu'applaudir à ces déclarations. On ne peut qu'être impressionné par le mépris de l'auteur pour Romain Goupil ou Daniel Cohn-Bendit « ... qui n’ont jamais été autre chose que des libéraux-libertaires, petits bourgeois confits d’un égoïsme hédoniste sans borne, et sans danger pour le système ».
On le sent : celui qui déclare ça est, lui, un révolutionnaire chevronné, qui ne perd pas le cap.
Pourtant, manque-t-il quelque chose au tableau historique qu'il brosse ?
Par exemple, Charléty ? Il n'en dit rien. Le 27 mai 1968, la gauche non communiste se réunit au stade Charléty, en présence de Rocard et Mendès France. Un dirigeant syndical appelle à la révolution, mais à part des diatribes contre De Gaulle, rien sur le programme. Le lendemain, Mitterand, dirigeant de la FGDS, annnonce qu'il n'y a plus d'Etat, qu'il faut établir « la démocratie socialiste ». Il sera candidat à la présidence de la République, avec, s'il est élu, Mendès France comme premier ministre ; il ne dit pas un mot sur une éventuelle nationalisation des banques, ou des grandes entreprises. Il ne mentionne pas le PCF.
Le PCF prend alors acte que la politique d'ostracisme à l'égard de la CGT et du PCF, manifestée par la manif de Charléty et la déclaration de Mitterand, interdit une issue politique à la crise, souligne l'aventurisme de certains dirigeants de la gauche non communiste alors que des mouvements de chars sont signalés autour de Paris. Il appelle à assurer le succès des revendications ouvrières portées par dix millions de grévistes. Waldeck Rochet appelle à un Programme commun de la gauche, qui ne sera accepté par le PS et une partie des radicaux issu d'Epinay que 4 ans plus tard.
Mélenchon ne répète-t-il pas partout qu'il voue une admiration sans borne à Mitterand ? Le même qui déclare en 1971, au Congrès d'Epinay, que « celui qui ne consent pas à la rupture..., avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, ne peut être adhérent du parti socialiste». Le même qui rassure l'Internationale Socialiste avant 1981 : il a signé le Programme Commun pour ramener le PCF (de 21% ndlr) à 12% ...Le même qui, après deux ans d'un gouvernement qui comprenait quatre ministres PCF, instaure l'austérité en 1983.
Voila quelque rappels qui peuvent éclairer sur la vision personnelle de Mélenchon sur mai 68, et sur ses objectifs stratégiques en 2018. Ne s'agirait-il pas, à l'instar du prince Salinas, dans le Guépard, de Visconti, de « tout changer pour que rien ne change » ?
Comment ne pas noter que, malgré ses déclarations multiples de ferveur révolutionnaire, le programme de Mélenchon et de FI, ne prévoit aucune mesure de nationalisation pour les plus grandes banques comme la BNP et la Société Générale ?
Quelles mesures dans son programme annoncent-elles un progrès décisif des droits des salariés, pour faire enfin entrer la démocratie dans les grandes entreprises ? Comment assurer la transition écologique qu'il proclame vouloir sans s'assurer d'un contrôle public démocratique des leviers financiers indispensables ?
Certes les conditions de 1968 ne sont plus celles d'aujourd'hui. A l'époque, l'URSS ne semblait pas encore promise à l'écroulement. On disait que le PCF prenait ses ordres à Moscou, où, dit-on, le PCUS préférait que de Gaulle reste au pouvoir. Admettons. Reste qu'en 2018, la question des mesures efficaces à prendre pour s'attaquer aux pouvoir des banques et des financiers, aux politiques de la BCE, est encore beaucoup plus cruciale qu'en 1968, quand le capitalisme n'était pas encore entré dans la crise profonde et multiple qu'il connaît aujourd'hui. Les belles déclarations révolutionnaires peuvent susciter l'enthousiasme des naïfs, elles ne suffisent pas.
Trop d'indices concordants dans les postures et les déclarations de Mélenchon devraient inciter tous ceux qui voudraient un progrès durable et décisif en France et en Europe, à la méfiance envers un dirigeant qui aspire à l'hégémonie, à « remplacer le PS » et à éliminer le PCF, taxé d'être « la mort et le néant ».
Que l'on m'entende : quiconque veut s'attaquer au pouvoir du capital dans ce pays doit travailler au rassemblement de toutes ses victimes, et cela inclut évidemment tout ce courant d'opinion qui voit en Mélenchon un sauveur. Mais n'oublions pas les millions qui s'abstiennent aux élections, qui n'ont plus aujourd'hui de perspectives, qui sont orphelins du PS d'hier, ou qui placent leurs espoirs dans le mouvement de Hamon. Travailler à ce rassemblement implique d'abord de gagner à des mesures progressistes la plus grande part des 99% qui subissent les attaques du capitalisme. Cela implique aussi de dévoiler les ambitions d'un dirigeant, Mélenchon, qui s'est emparé de la politique d'union du PCF pour en faire un instrument de division populaire ; un dirigeant dont l'admiration de toujours pour Mitterand, sûrement interprétée correctement en haut lieu, indique assez, comme ceux du prince Salinas, ses objectifs.