Au sujet d'une interview de Dominique Vidal dans l'Humanité du 01/08/2022
Le titre de l'article de l'Huma du 1/08/2022 qui transcrit un interview de Dominique Vidal résume de manière discutable le coeur de l'entretien: "En Israël, l'apartheid est gravé dans la Constitution".
Pourquoi discutable, et même carrément faux? Parce qu'Israël n'a justement pas de Constitution. Ce qui tient lieu de Constitution à Israël est sa Déclaration d'Indépendance en 1948. Elle affirme, elle, l'égalité en droits de tous les citoyens sans distinction de race, de croyance ou d'origine. C'est cette déclaration qui permit à l'ONU de proclamer l'existence de l'Etat d'Israël en même temps que de l'Etat de Palestine. La déclaration d'Indépendance est donc un engagement légal devant l'ONU, enregistré comme tel dans sa conformité avec la Charte de l'ONU.
La loi de l'Etat-nation du peuple juif, elle, date de 2018, fut acquise à une courte majorité, et n'a pas d'équivalence avec un engagement international. C'est une disposition qui relève uniquement d'une loi nationale, qui est donc annulable par une autre loi, en contraste avec un engagement devant la communauté internationale. Elle est combattue par de larges fractions de la population israélienne, juive ou arabe.
« N'est-il pas question du peuple juif ? »
Un autre élément de l'interview de Dominique Vidal dans l'Huma du 1/08/2022 mérite une discussion. La question posée est : "N'est-il pas question de "peuple juif " dans les déclarations israéliennes?" La réponse est étonnante. Après avoir reconnu que "cette notion est extrêmement discutable" et noté que "Seuls les nazis voyaient en eux (les juifs ndlr) une race", l'interviewé déclare que "c'est une question de spécialiste et qui n'a pas grand chose-chose à voir avec le sujet". Or Dominique Vidal soutient la proposition de résolution des 38 députés. Cette dernière mentionne des textes de l'ONU, sur lesquels elle s'appuie, qui définissent l'apartheid comme due à la domination d'un "groupe racial".
Les rédacteurs de la proposition 5222 sont-ils des spécialistes? Ont-ils réfléchi à ceci que la notion de "peuple juif" n'a pas de base rationnelle? Que celle de « groupe racial » appliquée à une catégorie singulière d'êtres humains, dont chacun connaît l'histoire récente, a des implications redoutables ? Le « peuple juif » est une fabrication idéologique d'un courant POLITIQUE, pas d'un "GROUPE RACIAL". En reprenant à notre compte, pour les besoins de notre cause, la définition de l'ONU en terme de "groupe racial" nous ferions l'impasse sur tout le processus historique qui a mené les partisans juifs d'une idéologie colonialiste à se prétendre représentant d'un "peuple juif" qui englobe tous les Juifs du monde et au nom duquel ils s'arrogent le droit de parler.
Le paragraphe suivant n'est qu'une caricature de l'histoire réelle. Son but est de rappeler que rien de solide ne peut se bâtir sans la prise en compte de la complexité du conflit israélo-palestinien.
Complexité du conflit du Proche Orient
Le processus historique qui mène à la situation actuelle au Proche Orient comprend la mémoire partagée de près de 2000 ans de persécutions, de mise à l'écart, d'expulsions massives fondées sur des distinctions et des mythes religieux, et plus récemment, au 19 ème siècle, les pogromes en Russie et en Pologne, et l'affaire Dreyfus. Interprétés dans le cadre des aspirations nationales au 19ème siècle, et du colonialisme triomphant, ces évènements conduisirent à la notion de la nécessité d'un »Etat juif » pour le « peuple juif », à établir sur un territoire à conquérir. Ces conceptions très minoritaires jusqu'en 1940 parmi les Juifs du monde semblèrent validées par le génocide industriel mis en œuvre par la nation la plus avancée du monde. Les rescapés des camps d'extermination furent souvent refoulés ; on pendit en Pologne les rescapés d'Auschwitz qui voulaient revenir dans leur village. La Palestine parut à beaucoup comme le seul lieu d'accueil. Se créa ainsi, à travers des guerres renouvelées, des massacres, de la Naqba, des attentats suicide, des bombardements de Gaza, du sabotage des accords d'Oslo et de l'assassinat de Rabin, un enchevêtrement de haines et un terreau d'affrontements. Avec comme cadre politique la négation des droits nationaux palestiniens, ces haines et ce terreau sont propices à la domination en Israël des forces politiques israéliennes les plus dangereuses et extrémistes. Faut-il rappeler aussi l'évacuation de Gaza, remise, de fait, par Sharon au Hamas pour créer une division durable du mouvement national palestinien ?
Oui, la politique israélienne dans les territoires occupés, avatar d'un colonialisme spécifique, relève d'un régime d'apartheid. Non, la situation en Israël, si elle peut évoluer sous les coups de boutoir de l'extrême droite en une forme d'apartheid, ne relève pas aujourd'hui de ce terme. Discriminatoire, faite de spoliations et d'expulsions et de racisme, cette politique doit être combattue en rassemblant largement l'opinion mondiale autour du soutien aux forces progressistes israéliennes menées par la Liste Unique et aux forces démocratiques palestiniennes qui acceptent le compromis proposé par Arafat et l'OLP : une paix fondée sur l'application négociée des résolutions de l'ONU. Il s'agit de mettre en œuvre les droits nationaux du peuple palestinien, pas de nier les droits nationaux du peuple israélien.
Le peuple juif n'existe pas. Le « groupe racial » juif n'existe pas.
Il y a du commun culturel entre les Juifs du monde, notamment l'expérience historique répétée des pogromes, expulsions, haines antisémites, oppressions diverses et du génocide. Ce commun culturel comprend les textes religieux mais ne s'y résume pas. Ce commun culturel, historique, fait de religieux, de discriminations et de génocide ne constitue pas un peuple qui aurait droit à un Etat.
La légitimité de l'Etat d'Israël est celle de l'Etat du peuple israélien, de formation récente, essentiellement due aux conséquences de l'entreprise d'extermination nazie, qui a semblé justifier les théories nationalistes de "l'Etat juif".
Accepter l'idéologie israélienne dominante du "peuple juif", analyser la politique israélienne en terme de " groupe racial", risquerait de désigner à la réprobation de l'opinion la grande majorité des Juifs du monde, quelle que soit l'opinion de ces derniers sur cette politique, que beaucoup, aux USA en France et ailleurs, combattent. S'imagine-t-on faire progresser ainsi la cause du peuple palestinien ?
Qu'ils l'approuvent ou la combattent, les Juifs non israéliens n'ont aucun rôle dans la définition de la politique qui se fait en Israël, par les citoyens israéliens juifs ou non-juifs. Une partie des citoyens juifs français ont de la sympathie pour ce pays? La belle affaire! Beaucoup, à la suite des expulsions de Juifs des pays arabes après la guerre du canal de Suez en 1956, y ont de la famille. Comme d'ailleurs beaucoup de descendants de rescapés du génocide. Tous ont vécu sous diverses formes les effets mutilants de l'antisémitisme. Leur sympathie éventuelle est peut-être erronée mais elle est compréhensible. Et un grand nombre militent pour la reconnaissance des droits nationaux palestiniens, condamnent avec force la politique israélienne.
Sait-on que les dirigeants israéliens aimeraient renforcer le potentiel économique culturel, militaire d'Israël en faisant émigrer chez eux le plus grand nombre de citoyen-ne- juifs ou juives ? La population juive de France, éduquée, de haut niveau culturel, est la plus nombreuse d'Europe. A-t-on réfléchi en haut lieu qu'en offrant à l'opinion l'analyse de la politique israélienne qui est faite dans la proposition 5222 en terme de « groupe racial », on offre à la propagande israélienne une voie royale pour convaincre nos concitoyens juifs que décidément c'est en Israël qu'ils seront à l'abri de théories redoutables.