Pascallederer (avatar)

Pascallederer

Physique théorique (matière condensée) de 1962 à 2009 (Directeur de recherche au CNRS); Mastère en philo des sciences

Abonné·e de Mediapart

133 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 octobre 2021

Pascallederer (avatar)

Pascallederer

Physique théorique (matière condensée) de 1962 à 2009 (Directeur de recherche au CNRS); Mastère en philo des sciences

Abonné·e de Mediapart

Eoliennes contre nucléaire civil? Un débat sur "C politique"...

Le 3/10/2021 sur la 5, C politique organisait un débat pour opposer les éoliennes et le nucléaire civil à propos de la politique énergétique. Ce billet examine de façon critique les arguments qui s'y sont exprimés

Pascallederer (avatar)

Pascallederer

Physique théorique (matière condensée) de 1962 à 2009 (Directeur de recherche au CNRS); Mastère en philo des sciences

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sur C politique (la 5) dimanche 3/10 au soir

Sur C Politique dimanche 3 octobre au soir, un débat opposait, à propos du réchauffement climatique, le recours aux éoliennes au nucléaire civil pour une production d'électricité sans combustible fossile. La question est-elle de choisir, au lieu de mettre en œuvre un mix énergétique efficace pour lutter contre le réchauffement climatique ?

Un invité de C Politique, M . Chapoutot, historien, s'était d'abord exprimé en démocrate pour critiquer l'idéologie pétainiste de Zemmour. Il est intervenu ensuite dans le débat sur éoliennes ou nucléaire. Il a rappelé les accidents de Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima ; ces trois catastrophes démontrent selon lui que le nucléaire civil en France doit être abandonné. « Le nucléaire c'est très dangereux », énonça-t-il en conclusion.

On pourrait faire observer ce qu'un historien devrait savoir : d'une part, les accidents de Three Miles Island et de Fukushima sont d'abord imputables aux critères de gestion des entreprises privées qui géraient ces réacteurs. La compagnie privée qui opérait le réacteur de Three Miles Island ne possédait que ce dernier et se préoccupait davantage de rentabilité de ses investissements que de sécurité. Tepco, le géant japonais privé du nucléaire, qui gérait plusieurs dizaines de réacteurs au Japon, a, lui aussi, préféré la rentabilité à la sécurité, et négligé des avertissements internationaux quant à la sécurité des installations de Fukushima. D'autre part, l'accident de Tchernobyl survint dans une période de décomposition de l'URSS, sur un réacteur sans double enceinte issu d'une technologie dépassée, et dans des conditions de gestion bureaucratique calamiteuse.

La catastrophe de Malpasset (rupture d'un barrage hydroélectrique, 421 morts) impose-t-elle d'en finir avec l'hydroélectrique ?

La catastrophe de Bhopal (usine propriété d'Union Carbide, 6500 morts et 260 000 blessés), celles d'AZF à Toulouse (31 morts, des milliers de sinistrés), celle de Lubrizol à Rouen, etc., imposent-elles d'en finir avec l'industrie chimique ?

Ne serait-il pas plus pertinent de dégager dans quelles conditions des technologies industrielles, dangereuses et indispensables, doivent être mise en œuvre dans des conditions de sécurité les plus exigeantes, et pour le bien public ?

Quitte à se répéter, rappelons que le nucléaire civil en France, contrairement au nucléaire civil aux USA ou au Japon a été construit et géré par une entreprise publique, dont le critère principal de gestion n'était pas la rentabilité du capital ? Sait-on que, contrairement aux installations nucléaires en URSS, tout incident sur un réacteur fait l'objet de mesures répercutées à tous les réacteurs pour que tous les enseignements de sécurité en soient tirés ?

M. Chapoutot serait en droit, ce qu'il n'a pas fait, d'observer que le danger principal pour la sécurité du nucléaire civil à l'heure actuelle en France réside dans le recours à la sous traitance privée, parfois sans formation technique suffisante ? Recours choisi, en lieu et place d'embauches de personnels compétents, par la direction d'une entreprise EDF désormais privatisée, soumise aux critères de gestion du capital privé.

Quels enseignements rationnels les téléspectateurs de C Politique ont-ils pu tirer de l'émission du 3 octobre sur la 5 ?

La charge du Professeur Chapoutot contre le nucléaire civil venait en renfort des arguments de M. J. F. Julliard, directeur de Greenpeace France, qui a renchéri en évoquant les immenses régions rendues inhabitables par les accidents de Tchernobyl et Fukushima. Ces désastres obligent à des mesures de sécurité du nucléaire civil d'une extrême rigueur, c'est clair. Mais M. Julliard évoque soudain « le coût élevé » du nucléaire civil... Que ce coût en matériel de l'investissement initial soit lourd, et la rentabilité faible à court terme, explique que le capital privé préfère la rentabilité rapide des turbines à gaz indispensables pour pallier l'intermittence des éoliennes. M. Julliard de Greenpeace mène-t-il le combat contre l'utilisation des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) ou pour la rentabilité du capital privé ?

J. F. Julliard assure que l'on peut se passer entièrement du nucléaire civil pour la production d'énergie, notamment grâce aux éoliennes. M. Julliard n'a rien dit sur le bilan désastreux, en terme d'émission de gaz carbonique, de la fermeture de Fessenheim, malgré l'avis de l'Autorité de Sûreté Nucléaire ? Il est préoccupant qu'un responsable d'une organisation telle que Greenpeace France fasse le silence sur le retard historique qu'entraînerait, dans la lutte contre le réchauffement climatique, la fin des indispensables investissements en réacteurs nucléaires civils en France et dans le monde.

Le rêve de M. Julliard d'un monde sans nucléaire civil, contre toutes les préconisations du GIEC, se transformerait en cauchemar pour des centaines de millions d'humain dont les territoires seraient rendus inhabitables pour longtemps par un réchauffement qui s'annonce déjà supérieur à 1,5° dans quelques dizaines d'années à peine. Il est lamentable que ces errements fournissent au pétainiste Zemmour ses meilleurs arguments contre un Mélenchon qu'il assimile à la gauche toute entière...

Quant aux éoliennes, comme l'hydroélectrique, la géothermie ou la biomasse, elles font sûrement partie du mix énergétique incluant le nucléaire qui s'affranchirait le plus vite possible des énergies fossiles. Autant la mise en œuvre du nucléaire civil doit se faire dans des conditions de sécurité les plus strictes, autant celle des éoliennes, comme le défendait l'interlocutrice de Julliard sur la 5, doit tenir compte des populations, des riverains, des pêcheurs, des professionnels du tourisme qui peuvent s'en trouver lésés.

N'est-il pas temps que s'exprime un puissant mouvement populaire pour que la politique énergétique de la France soit définie et mise en œuvre par un organisme public où les utilisateurs, comme les salariés de toutes catégories auraient leur mot à dire dans des structures démocratiques associées à la direction ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.