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Physique théorique (matière condensée) de 1962 à 2009 (Directeur de recherche au CNRS); Mastère en philo des sciences

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Billet de blog 7 avril 2018

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Mes souvenirs de Jean-Pierre Kahane

Près de 50 ans d'amitié avec Jean-Pierre Kahane, au moment ou s'ouvre place du Colonel Fabien, l'hommage de deux jours à Jean Pierre Kahane, disparu il y a 9 mois.

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Mes souvenirs de Jean-Pierre Kahane.

Au moment ou va s'ouvrir place du Colonel Fabien la première journée d'hommage à Jean Pierre Kahane, disparu il y a près de neuf mois, je souhaite apporter ma contribution, autour de plusieurs souvenirs personnels.

J'ai cotoyé Jean Pierre Kahane depuis près de cinquante ans, d'abord sur le campus d'Orsay (Paris XI), ensuite depuis 1998 dans le 5ème arrondissement où nous étions presque voisins.

En 1969 j'adhérais au PCF à la section du campus d'Orsay dont Jean Pierre était membre depuis longtemps. Quelques années plus tard, j'étais élu chercheur au Conseil d'Université de Paris XI dont Jean-Pierre avait été élu président : il a contribué à m'éduquer politiquement lors d'un épisode dramatique de la vie du Campus. A l'époque, sous la présidence de Giscard d'Estaing, les jeunes scientifiques subissaient déjà la politique des contrats précaires faits de bouts de ficelle hétéroclites. Jean-Pierre, en tant que militant du SNESup, militant communiste et président de l'Université, participait, avec les autres forces syndicales à la lutte pour la titularisation de ces jeunes sur ds postes statutaires. Un assistant, G., se vit menacé de licenciement à la fin d'un ces contrats à court terme ; un Conseil d'Université avait été convoqué par Jean-Pierre pour trouver une solution permettant à G de continuer son travail d'eneignant-chercheur sur le Campus. C'est alors qu'un certains nombre de salariés du campus, qui dissimulaient, sous la phrase de gauche du SGEN-CFDT de l'époque, un anticommunisme de vieux réacs, trouvèrent intelligent de séquestrer le Conseil d'Université en faisant porter à Jean-Pierre la responsabilité du licenciement de G. Aucun membre du Conseil ne sortirait du château du campus avant qu'une solution ne soit trouvée pour G. Séquestré comme tout le Conseil, empêché de revenir à Paris et de prévenir ma famille, je bouillais de colère contre cette action imbécile qui s'en prenait à une assemblée où les élus SNESup, SNCS et SNTRS-CGT étaient bien représentés, et exonérait le gouvernement de ses responsabiltés. Jean-Pierre, lui, gardant tout son calme, organisait le débat et l'action, et proposait l'initiative qui allait sauvegarder l'emploi de G. Il m'a donné à cette occasion une grande leçon de sagesse politique : face à la démagogie populiste, il faut rester calme et garder le cap.

Un autre souvenir : je voyageais parfois le soir avec Jean-Pierre dans le RER B qui nous ramenait à Paris. Parfois nous parlions politique, parfois de mon grand père Maurice Fréchet dont il admirait les contributions mathématiques. Je veux saluer aujourd'hui l'appui qu'il a donné immédiatement, en donnant sa signature, lors d'un de ces trajets en métro, au manifeste Une Autre Voix Juive dont j'avais pris l'initiative avec Olivier Gebuhrer. Il s'agissait de soutenir la lutte du peuple palestinien pour ses droits. Jean-Pierre, matérialiste athée, laïque convaincu, avait tout de suite compris qu'il disposait, en assumant publiquement – ce qu'il n'avait jamais fait jusque là – son identité juive, d'une arme politique contre le communautarisme du CRIF et sa prétention, comme celle du gouvernement israélien, d'enrôler les juifs du monde dans une politique colonialiste. Ce n'était pas évident : bien des communistes d'origine juive, y compris parmi les dirigeants du PCF, ont refusé leur signature au manifeste UAVJ. Ils n'ont pas eu, eux, le courage d'assumer leur identité juive par solidarité internationaliste avec la lutte du peuple palestinien.

Je veux associer à ce souvenir la mémoire de Roland Wlos, dont je viens d'apprendre la mort. Avec Stéphane Hessel, Raymond Aubrac, Pierre Vidal Naquet, et tant d'autres grands intellectuels, artistes, grands résistants, etc., ils furent parmi les premiers signataires du manifeste Une Autre Voix Juive, et lui ont permis par là, d'établir publiquement et durablement, avec les quelque mille autres signataires, l'existence d'un courant d'opinion juive démocratique qui dénie à Israël et au CRIF le droit de parler en son nom, et qui soutient l'universalité des droits de l'homme et des peuples.

Le dernier souvenir que je veux évoquer ici est tout récent. Lors de la campagne législative de 2017 qui suivit l'élection de M. Macron à la présidence de la République, des étudiants de l'ENS de la rue d'Ulm annoncèrent l'organisation à l'ENS le 1er juin d'un débat qui devait réunir les candidats du FN, de LREM, d'EE-LV, du PS et de FI, … mais excluait Lorraine Questiaux candidate PCF. Indigné, je prévenais Jean-Pierre Kahane. Il vint distribuer avec les militants PCF du 5ème un tract qui dénonçait cette infamie avant la réunion le soir même. Lors de cette dernière, un chaos indescriptible régnait dans la salle, de nombreux étudiants conspuant la candidate FN. Seul Jean-Pierre finalement réussissait à se faire entendre d'un public soudains apaisé et à défendre la candidature de Lorraine Questiaux, mais il fit une chute en se rendant à la tribune et se blessa à la main. Je le raccompagnai chez lui avec Lorraine après l'annulation du débat et l'évacuation de la salle.

Le dernier échange courriel avec Jean-Pierre date du 16 juin 2017 ; il m'y fait part de son analyse des résultats électoraux des législatives à Paris. Ainsi, Jean-Pierre, qui mourut une semaine plus tard, fut un militant communiste actif et efficace jusqu'au bout.

Avec sa disparition, la France a perdu un grand mathématicien, le Parti Communiste un grand militant, et moi un ami.

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