La Révolution n'a-telle plus besoin de savants ?
Le développement des connaissances, – la science – joue un grand rôle dans le développement des sociétés. En retour, la société – la politique de la science – joue un grand rôle dans l'orientation du développement scientifique.
On dit que Fouquier-Tinville, envoyant Lavoisier à la guillotine, aurait déclaré : « La République n'a pas besoin de savants ».
La Révolution sociale et écologique d'aujourd'hui n'a-t-elle pas besoin de savants ?
Dans le Capital, Marx démontre que le mode de production capitaliste aboutit à des crises liées à une baisse tendancielle du taux de profit moyen.
Cette tendance est notamment due à la compétition féroce que se livrent les groupes capitalistes pour accaparer le plus haut taux de profit.
En général les prix des marchandises fluctuent autour de la valeur. Cette dernière est fixée par le temps de travail social nécessaire à la production.
La science, plus précisément l'innovation, qui exploite l'avancée des connaissances, permet à un capitaliste particulier détenteur exclusif d'une innovation, d'avoir un taux de profit très supérieur à celui de ses concurrents – il engrange ce que Marx appelle « la plus value extra » – . Mais ça ne dure pas : les concurrents s'emparent au bout d'un certain temps de la même innovation. La loi de la valeur – l'égalisation du temps de travail – entraîne l'égalisation à la baisse des prix. Mais en général, le capital machine a augmenté pour tous: le taux de profit moyen diminue. Qu'on pense à la baisse vertigineuse des prix de l'informatique depuis 50 ans. Qu'on réfléchisse à la quantité d'avancées de physique fondamentale incorporées dans un téléphone portable, dans l'imagerie médicale, ou en fait dans un très grand nombre d'activités humaines.
La course à l'innovation a plusieurs conséquences : la fraction dominante du capital devient de plus en plus concentrée dans des groupes de taille démographique de plus en plus restreinte. Les fractions dominées du capital récoltent les miettes ; les crises de suraccumulation/dévalorisation se succèdent. Les salariés paient les pots cassés, malgré leurs luttes.
Le besoin impérieux d'innovations pour le capital joue un rôle croissant dans les politiques des Etats que la classe capitaliste, un pour cent de la population, domine.
La science joue un rôle considérable dans le développement du capitalisme. Elle en jouera aussi un dans l'évolution de la société qui dépassera celui-ci.
Sarkozy, puis Hollande, puis Macron ont mis en pratique une politique scientifique qui répond aux besoins du capital : le secteur public de l'Enseignement Supérieur a été réformé pour cela : ses financements (sur contrats courts), ses salariés, de plus en plus précarisés, ses structures, de plus en plus bureaucratiques et autoritaires. Les scientifiques du secteur public se battent pour maintenir ce qu'il leur reste d'indépendance intellectuelle, de liberté de recherche, de moyens pérennes. Les travailleurs scientifiques sont contraints de travailler plus étroitement avec les industriels, et de viser l'innovation.
L'appareil scientifique de la France se dégrade.
D'autres facteurs jouent, notamment les politiques de sécurité des Etats, et la recherche d'innovations militaires, pour donner à la science un rôle de plus en plus important dans les budgets publics. L'innovation militaire permet de stériliser des masses énormes de capitaux, pour le plus grand profit des industriels de l'armement.
La crise du Covid 19 a mis en évidence un autre facteur du développement scientifique : les besoins des populations ; dans ce dernier cas, les besoins de santé. Pour combattre une nouvelle maladie, on a besoin, entre autres, de chercheurs, de laboratoires de recherche, de recherche pharmaceutique, de productions de médicaments, etc..Un pouvoir qui néglige ou sacrifie, non seulement l'hôpital public, mais la recherche médicale, et livre l'industrie du médicament aux intérêts privés, risque un fort affaiblissement politique.
La science – son développement,son orientation, ses applications – est l'enjeu d'une bataille entre d'une part la fraction dominante du capital, qui veut utiliser ses résultats pour le profit, et d'autre part la majorité de la population qui veut que les connaissances aident à vivre.mieux. Elle aspire à la paix, à plus de sécurité sanitaire et environnementale, plus de culture, plus de logements abordables, moins de pollution, une alimentation sans pesticides, des transports accessibles, un enseignement qui permette la maîtrise de sa vie par chacun-e, etc..
Les plus grands groupes capitalistes dans le monde ne sont-ils pas aujourd'hui les détenteurs et inventeurs d'innovations ?
Dans « Matérialisme et empiriocriticisme », Lénine montre une attention aigüe aux progrès scientifiques, en particulier pour combattre l'obscurantisme, arme au service des forces d'aliénation sociale.
Dès le succès de la Révolution bolchevique, Lénine montre l'importance qu'il attache à la science : il crée des Instituts de recherche, fait appel à des spécialiste scientifiques étrangers pour développer les recherches dont l'URSS a besoin pour développer le socialisme. Sans prendre l'URSS pour modèle, ne faut-il pas noter que les scientifiques soviétiques étaient les salariés les mieux payés en URSS ?
La révolution sociale et écologique a-t-elle besoin aujourd'hui de la science et des travailleurs scientifiques ?
Je m'interroge. Dans son discours de Malo-les-bains, le secrétaire national du PCF énumère les secteurs de la société où sévit le capital en crise ; ceux auxquels il convie les communistes à agir pour faire échec aux régressions sociales, économiques, environnementales. Une absence notable : silence sur les questions de la science.
Il s'adresse (je cite) « à eux, à ces jeunes, aux futurs ingénieurs, enseignants, électriciens, mécanos, aux jeunes agriculteurs, aux futurs salariés du bâtiment, du ferroviaire, de l’automobile, de l’aérien, à toutes celles et ceux, épris de culture, qui veulent développer l’économie sociale et solidaire, ou encore à celles et ceux qui créent et rêvent de vivre de leur art... Face à une telle crise, il faut avoir de l’audace, être créateurs, innovants, comme l’ont été nos anciens avec le programme des Jours heureux et la Sécurité sociale. Inventons, nous aussi, une nouvelle Sécurité sociale, celle qui protège du chômage. »
Ce sont les seules paroles du discours de Malo-les-Bains qui effleurent, de loin, les questions de la science et des travailleurs scientifiques. Et elles ne s'adressent qu 'aux jeunes.
Le Front Populaire avait créé le CNRS.
Le PCF considère-t-il que « les Jours heureux » n'ont plus besoin de « savants » ?