Pascallederer (avatar)

Pascallederer

Physique théorique (matière condensée) de 1962 à 2009 (Directeur de recherche au CNRS); Mastère en philo des sciences

Abonné·e de Mediapart

133 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 août 2022

Pascallederer (avatar)

Pascallederer

Physique théorique (matière condensée) de 1962 à 2009 (Directeur de recherche au CNRS); Mastère en philo des sciences

Abonné·e de Mediapart

Origines politiques d'Une Autre Voix Juive

Ce post retrace le processus de création d'Une Autre Voix Juive

Pascallederer (avatar)

Pascallederer

Physique théorique (matière condensée) de 1962 à 2009 (Directeur de recherche au CNRS); Mastère en philo des sciences

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Origines politiques d'Une Autre Voix Juive

Depuis le 28 septembre 2000, jour de la visite d'Ariel Sharon, chef de l'opposition de droite israélienne à l'Esplanade de la Mosquée Al Aqsa, et, deux jours plus tard la mort de Mohammed Al Dura (enfant palestinien tué dans les bras de son père par un tir israélien) la deuxième Intifida déroulait en Israël et dans les territoires palestiniens occupés ses lots journaliers de violences des forces armées d'Israël contre des manifestants très jeunes, parfois lanceurs de pierres, réprimés à coup de balles réelles. En quinze jours, plus de cent morts palestiniens, 24 morts israéliens dont 14 citoyens palestiniens d'Israël tués par la police israélienne. Un mois plus tard le Hamas et le Jihad islamique organisaient des attentats suicide visant des civils israéliens. La gauche israélienne ne s'en relèvera pas.

La 2ème Intifada allait dérouler ses cortèges de protestation et ses violences israéliennes jusqu'en 2005.

En 2001, Roger Cukierman accédait à la présidence du CRIF. Avec lui, le parti israélien Likoud obtenait une tribune influente pour relayer en France la propagande israélienne.

Parmi les manifestants en France qui protestaient contre la répression israélienne, certains criaient Allahou Akbar, d'autres criaient des slogans pour la Palestine indépendante, d'autres, consternés par l'appui du CRIF à la politique de colonisation israélienne, étaient indignés de voir leur part d'identité juive associée, grâce au CRIF, à une politique coloniale qu'ils détestaient.

A l'époque, certains intellectuels, citoyen-ne-s français juifs , tel-le-s Madeleine Reberioux, Pierre Vidal Naquet et Stéphane Hessel signaient à quelques uns des tribunes de protestation dans Le Monde. Ils avaient créé un mouvement, « Trop c'est trop » en 2001, pour protester contre l'enfermement d'Arafat à Ramallah et les coups portés à l'Autorité Palestinienne.

Mais la propagande du CRIF et la complaisance du pouvoir pour cette structure « réputée représentative » faisaient croître dans l'opinion publique à la fois l'indignation contre la violence israélienne face aux aspirations nationales palestiniennes et l'idée que les Français juifs dans leur ensemble approuvaient cette violence.

Il en résulta en France une paralysie en France de la critique progressiste à la politique israélienne. La crainte, sans doute, de rompre avec la prise en compte de la responsabilité de la France dans le génocide, selon la déclaration de Chirac en 1995. En clair, la crainte de voir la critique d'Israël estampillée de l'accusation d'antisémitisme. Ayant écrit un livre « Peut-on critiquer Israël ? », son auteur était exclu du PS.

Il fallait faire la preuve, que ni le CRIF, ni Israël n' étaient fondés à parler au nom des citoyens français juifs. Les protestations publiques de quelques intellectuels juifs, manifestement, ne suffisaient pas. Il fallait démontrer qu'existait en France, avec les intellectuels qui s'étaient exprimés, un courant d'opinion indiscutable parmi les citoyen-ne-s français-es juifs ou juives opposés à la politique israélienne de négation des droits nationaux du peuple palestinien. Faire émerger un tel courant d'opinion, cristalliser durablement une expression d'un courant juif progressiste, était la clé pour débloquer l'expression publique des courants politiques de gauche sur le conflit israélo-palestinien. Il fallait combiner intransigeance sur la condamnation de tout antisémitisme et permettre une critique politique progressiste de la politique israélienne.

Un texte de Pascal Lederer, publié par l'Huma en mars 2003 sous le titre « Une Autre Voix Juive ? » appelait les progressistes indignés par la politique israélienne et qui se reconnaissent une identité juive, à en faire état publiquement et à s'exprimer collectivement pour cela. Un manifeste, élaboré par Olivier Gebuhrer et Pascal Lederer circula, recueillit très vite des signatures Une première liste de 94 signatures prestigieuses (Stéphane Hessel, Raymond Aubrac, Pierre Vidal-Naquet, etc., ) fut publiée à titre d'encart publicitaire avec des extraits du manifeste dans Le Monde du 6-7 juillet 2003, puis dans l'Humanité le 7 juillet. Les signatures commencèrent à affluer par centaines. Beaucoup faisaient état de leur statut de victimes du nazisme.

A la suite de « l'initiative de Genève » en octobre 2003, Bernard Henri Lévy et La Paix Maintenant organisèrent un meeting public à la Mutualité à Paris. En fait, ils voulaient célébrer la grande avancée que constituait selon eux la reconnaissance intempestive par les « négociateurs » palestiniens auto-nommés de la reconnaissance d'Israël comme « Etat du peuple juif ». Exclue de la tribune du meeting par les organisateurs, Une Autre Voix Juive fit publier une pleine page du Monde (concédée par Edwy Plenel à 3% du prix normal) , le jour du meeting, avec cinq cent signatures supplémentaires du manifeste UAVJ. David Chemla déclarait à UAVJ que ses signataires voulaient la perte d'Israël, puisqu'ils reconnaissent la résolution de l'ONU sur le « droit de retour ou à compensation ».

Avec plus de mille signatures au total, réunies parmi une population de six cent mille personnes, Une Autre Voix Juive affirmait ce jour là l'existence d'un courant d'opinion déterminer à « faire entendre, obstinément, la voix de Français juifs, ou d’origine juive, qui soutiennent les idéaux de démocratie, de liberté, d’universalité des droits humains et des droits des peuples. »

C'est cet engagement que font vivre depuis 2003 les signataires du manifeste Une Autre Voix Juive, en élaborant collectivement des textes fondés sur les orientations de leur Manifeste (http://uavj.free.fr) ou en intervenant directement auprès des différents responsables politiques français ou étrangers concernés par la politique de la France au Proche-Orient. Une Autre Voix Juive a ainsi rencontré des responsables de haut niveau de tous les partis politiques français, à l'exception du FN, pour exposer nos positions.

Parmi les indices qui confirment que les efforts d'Une Autre Voix Juive n'ont pas été inutiles, je cite la lettre envoyée en 2011 aux ministres des Affaires étrangères de France, d'Allemagne et de l'Union Européenne. A l'époque, des bruits circulaient selon lesquels M. Sarkozy et Mme Merkel s'apprêtaient, à la requête de Benyamin Netanyahou, à reconnaître Israël comme « Etat du peuple juif ». La lettre d'Une Autre Voix Juive expliquait pourquoi cette reconnaissance était dangereuse et inappropriée. Plusieurs mois plus tard, lors d'une entrevue d'une délégation du Collectif National CNPJDPI au Quai d'Orsay, un fonctionnaire du Ministère qui recevait la délégation déclara au représentant d'UAVJ que cette lettre avait été très efficace. La reconnaissance, par la France ou par l'Allemagne, d'Israël comme Etat du peuple juif n'eut pas lieu.

Je pourrais aussi citer l'approbation chaleureuse du manifeste UAVJ, lors de sa parution, par le grand poète palestinien Mahmoud Darwich.

Aux observateurs honnêtes et impartiaux de la vie politique de dire le rôle qu'a joué et joue le manifeste Une Autre Voix Juive dans la libération de la critique progressiste à la politique colonialiste menée par la couche dirigeante israélienne.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.