(...)Je vous suis bien dans le fait que la tolérance à autrui inclut l'affirmation d'un Soi, l'estime (nécessaire) de soi. Je me pose plus de questions quant à la capacité à "raisonner avec tolérance". Peut-on vraiment attendre de la Raison qu'elle soit tolérante ? La tolérance n'est-elle pas "consubstantielle" à un minimum "d'appétence" pour autrui ?
Auquel cas elle serait...subjective et déraisonnable.
29/01/2014, 20:16 | Par samines en réponse au commentaire de Passifou le 29/01/2014 à 18:37 - Ici
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En suivant les fils de Médiapart, on voit s'accumuler les débats, qui deviennent rapidement des polémiques. On s'interroge.
Le lecteur habitué à l'analyse des propos et à l'intelligence de la relation, comprend vite que les blogueurs sont passionnés par leur engagement, ou pétris de principes et de valeurs qui produisent une haute considération pour un humanisme de bon aloi.
Ils traitent le thème qu'ils rencontrent à l'aune d'une grille de valeurs que l'on voit rapidement clignoter, en feux verts et rouges, qui orientent ou stoppent les débats.
Ici et là, des exposés se développent, ils condamnent ou exaltent, selon que l'on accompagne le sens qui convient, ou que l'on bute contre celui qui ne va pas.
Jusqu'ici, rien que de très normal.
Cependant, en tant que blogueur parfois en décalage avec l'harmonie des conceptions de nombre de ses camarades, pour qui on peut avoir réellement le sentiment d'une proximité amicale, on se trouve régulièrement en butte à l'opprobre, parfois à l'accusation. On passe sur les qualificatifs qui commencent à faire une très jolie collection.
Bien sûr, le cas est commun, nombre de têtes de turc ont trouvé à s'employer au service du défoulement et du bonheur de détruire.
Un blog donne la liberté de l'expression, mais certainement pas la légitimité de l'opinion.
Aux lecteurs et commentateurs de peser de leur regard quelques idées qui ne sont pas toujours de la faculté. On doit se souvenir que si quelques uns espèrent la vérité, d'autres imaginent porter la parole sacrée, certains se contenteront d'échanger pour le plaisir et la découverte du spectacle de la roue du monde, sous laquelle on essaie régulièrement de ne pas se trouver.
J'ai commis un petit billet autour de la tolérance, pour mon plaisir et celui de celles et ceux qui aiment bien me lire, soit qu'ils approuvent d'être parfois choqués dans leurs convictions honorables, soit qu'ils partagent la même curiosité pour l'envers et l'endroit des choses de la pensée.
Le procédé utilisé m'est naturel, j'use de la provocation, parfois du sommaire de l'énoncé ou du définitif du langage.
Cela permet d'écarter d'entrée les esprits chagrins, ils ne savent pas pratiquer le second et le quatorzième degré, mais pire, ils croient tout ce qu'on leur dit. On n'a pas besoin d'aller très loin avec ces personnes un peu stériles, bien qu'amusantes, il faut l'avouer.
Une fois passé le premier choc, on se retrouve donc entre gens sensés, c'est à dire qui ont leur idée, mais n'ont pas de forteresse en construction permanente. Ils savent largement assez bien où ils habitent, pour ne pas craindre de voyager.
On a pu voir avec Samines, comment on passe de la tolérance à la raison.
Forcément, les gens raisonnables sont tolérants. Il finissait par s'interroger sur le déraisonnable de la raison. Et oui, on me pardonnera le raccourci que j'inflige ici à sa proposition, les paradoxes ont un goût inimitable et précieux quand on aime les susciter.
Le déraisonnable de la raison et donc de la vérité, on saisit la proximité. Ensuite on passera rapidement sur ce qui leur échappe, sans l'oublier, on se situe le mieux par rapport à son inverse.
La raison, c'est ce qui fait sens, voire même l'organe du sens.
Quelqu'un de raisonnable, c'est quelqu'un apte à reconnaître le sens.
On pourrait dire que les gens raisonnables pensent comme vous. Ceux qui ne pensent pas ainsi seraient déraisonnables, on comprend vite la limite de l'opération. Impossible de progresser, de faire évoluer la raison, si le sens défini n'est pas susceptible de changer. On sacrifie donc à la contradiction, elle permet à la raison de se construire autrement, nous apportant soudain cette lumière, la raison serait-elle malléable par nature ?
Oui et non. Il faut situer en amont les arguments de la chaîne de la réflexion, sont-ils recevables? C'est ici le noeud de la discorde, si l'on n'a pas les mêmes présupposés, des référents égaux ou équilibrés entre les points de vue, il est impossible de s'accorder.
Passant de la mécanique du raisonnement, on entre de plain pied dans le monde des éléments et des rouages qui en feront l'ossature, ainsi que la justification, je veux nommer ici mon grand souci : les valeurs.
La tolérance, valeur, est issue d'autres valeurs.
Voici venu le temps des philosophes, on cherche le meilleur pour satisfaire à la compréhension d'un sens qui très vite va nous dépasser.
Elles font corps aux ensembles limités par le champ de l'acceptable, encore une fois à partir d'autres valeurs. Après tout, la recherche du savoir, de la vérité, se fonde sur une conception qui place au sommet d'une hiérarchie des sentiments, selon leur validité et leur priorité.
Les valeurs se génèrent les unes, les autres. Avec la diversité des sensibilités vient celle des croyances et des convenances que l'on reçoit pour vraies et exemplaires, en raison de la reconnaissance des esprits qui ont présidé à leur expression, à leur définition.
Il faut avoir foi en ses maîtres pour reproduire leur enseignement et pratiquer leurs recommandations.
La confiance naît du succès, le doute de l'échec. Les valeurs d'un système devraient lui venir non pas de la vérité de sa théorie, mais de celle de son fonctionnement.
Or s'il est un domaine où la théorie est un objectif idéal jamais atteint, semble-t-il , c'est bien dans les domaines de la vie sociale.
On se contente des moyens termes, sinon l'on se trouve vite bloqué par un ou plusieurs conflits irréconciliables. Il faut tolérer, c'est à dire accepter de voir ses valeurs écartées, sous condition qu'elles soient promises à un avenir favorable.
On ne vous demande pas forcément de changer de conviction, on vous demande de la brider, par exemple en démocratie, sous la loi d'une mécanique prétendûment utile et efficace.
Qu'est-ce donc qu'une théorie qui revient à se montrer utopique, dès lors qu'on la confronte aux faits?
C'est une histoire que l'on se raconte, entre tenants de la même foi, née d'un passé réel, mais lointain, rapidement déformé par des embellissements légendaires, ou des travestissements négatifs qui peuvent l'être autant, elle vise un avenir souhaité, mais imaginé.
Parfois, on se prend reconnaître cette histoire en marche dans le monde que nous parcourons, mais très vite, pour peu que l'on pose les bonnes questions, quand un phénomène ne peut trouver de sens que dans la contradiction, entre le discours et ses effets, on se rend compte du décalé, entre une pensée affichée et son action.
La raison puise ses racines dans des valeurs, que l'on reconnaitra facilement mythiques, pour peu que l'on examine leurs racines. Elle produit donc au présent du mythe, pour un avenir mythique.
Bien sûr, pour une bonne part, quand ce n'est pas en totalité, ces mythes sont tenus pour vrais. Rien n'est plus véridique que l'humanisme serein, ou le tempérament de combat, pour faire advenir à l'existence un monde qui ressemble à nos valeurs.
Mais lorsque ce monde n'a plus rien de commun avec nos vérités naturelles, que se passe-t-il?
Quand la tolérance qui fonde la démocratie, est visiblement remplacée par le rapport de force, qui établit la victoire non pas sur la confrontation des convictions, mais dans la gestion des esprits, pour faire admettre un réel inadmissible, à quelle exercice s'est-on prêté?
A une manipulation. Les maîtres du jeu mythique qui savent comment jongler avec les valeurs, réussissent à vous les faire nier.
Et le premier d'entre eux, c'est évidemment soi-même, parce que la vérité du mythe doit être installée dans un esprit bien particulier, pour qu'il en vienne à oublier son bien-être ou sa conservation personnelle.
Du corps vient le coup d'arrêt aux errements de l'esprit. La souffrance rappelle au monde réel.
Nous ne partageons pas les mêmes valeurs, parce que nous ne partageons pas les mêmes mythes, cependant les ponts, à quatre voies, ou bien les passerelles, sont partout.
La science est reconnue par les scientifiques, mêmes ennemis, comme la philosophie par les philosophes, bien qu'adversaires acharnés, ce sera ainsi tant de toutes les richesses de l'intelligence humaine.
On partage les mêmes cités, si l'on ne vit pas dans les mêmes quartiers.
Pour bien se connaître, il faut comprendre quels mythes nous gouvernent. Pour bien comprendre les autres, il est bon de savoir quels sont ces nouveaux dieux auxquels ils se vouent, dans l'ignorance la plus innocente, mais pas la moins dangereuse.
Voilà qui permet de s'accorder et de dominer nos partenaires en société.
Tout est mythe, parce que tout est valeur. Certains sont plus vieux, mieux ancrés que d'autres. La plupart conduisent aux répétitions incroyables des aléas historiques de l'humanité, aux succès, plus encore aux échecs, ils se reproduisent quasi mécaniquement, comme si nous étions soumis à une fatalité aussi néfaste qu'inévitable.
Cette faculté de se projeter dans l'avenir, de se penser plus tard, autrement que nous ne sommes, cette capacité d'abstraire, caractère principal de l'esprit humain, est porteuse d'un défaut incommensurable. Il aurait lui aussi un fonctionnement quasi mécanique. Il se nourrit comme la raison des arguments, mais son carburant est dans l'imagination.
Si l'on pense que les mythes appartiennent à l'imaginaire, on se trompe peut-être, ils s'appartiennent l'un les autres. Il ne vit que par eux. Le progrès, le changement, le monde meilleur, autant de mythes puissants qui motivent une vie de sacrifices, la réussite, la renommée, la puissance, encore des mythes.
Si l'on considère les fabuleuses mythologies en fonction du développement de nos mythes modernes, on approche des profondeurs semblables, autrefois le fondement du fonctionnement du monde et de la psyché, aujourd'hui celui des aspirations et des socles indiscutés et indiscutables de la pensée.
On ne détruit pas les mythes sans perdre le moteur de la vie individuelle et collective, il faut les remplacer.
A cet égard, les basculements de valeurs dans les civilisations qui se sont succédées sont significatifs et riches d'enseignement.
Il faut une claire vision de la vanité de la plupart de nos injonctions, pour saisir autrement l'ensemble dans lequel nous sommes tellement imbriqués, si totalement emprisonnés, qu'il est impossible d'en avoir une perspective assez éloignée, pour prétendre libérer suffisamment de ses moyens pour enfin organiser un sens cohérent avec les évènements.
La pensée ne précède jamais l'existence, elle l'interprète a postériori et renvoie à un futur qui est tout, sauf obligé.
Alors, nos blogs sont naturellement condamnés à des polémiques reproduites selon les shémas éternels, la rencontre de mythes inverses, portés par des forces qui gagneront, non pas par la vérité de leur conceptions, mais par le nombre et le pouvoir, la force de celles et ceux qui les partagent.
Nous sommes une histoire que nous raisonnons, la vérité du mythe se suffit à elle même pour exister, mais si nous pouvons comprendre et accepter un peu de l'histoire des autres, combien allons-nous changer la nôtre pour une existence enfin remplie, alors qu'elle est grande ouverte à toute les possibilités.