«Tout ce que je sais, c'est que moi je ne suis pas marxiste», s'est défendu Karl Marx sur ses vieux jours, alors que son œuvre commençait à lui valoir des disciples, et à nourrir les visées de révolutionnaires «professionnels», ou en voie de le devenir. Nul autre mieux que Maximilien Rubel n'a saisi la portée de ce cri du cœur du penseur allemand.
C'est du moins l'avis bien informé de Miguel Abensour et Louis Janover qui viennent de lui consacrer un ouvrage aux éditions Sens & Tonka : Maximilien Rubel, pour redécouvrir Marx. Tous les deux ont accompagné, de longue date et chacun à sa manière, le travail de Maximilien Rubel sur l'œuvre de Marx.
Né en 1905 dans l'ancienne Autriche-Hongrie, Rubel a vécu à Paris de 1941 à sa mort, en 1996. Entré au CNRS en 1947, outre qu'il s'est livré à des recherches érudites sur l'histoire du mouvement ouvrier, Rubel s'est consacré pendant plus de trente ans à l'édition des Œuvres de Marx dans la Pléiade.
On lui doit une distinction radicale entre «marxien» qui, comme le précisent les auteurs, «se rapporte selon lui exclusivement à l'œuvre de Marx», et «marxiste», «qui renvoie aux épigones de toutes sortes». La distinction n'est pas mince, on en conviendra, au regard de l'Histoire, où les faits sont têtus, surtout quand ils ont fait souffler un vent de désastre jusque sur l'utopie politique.
C'est sur ce point qu'insiste en particulier Louis Janover, en montrant aussi les limites de l'exercice théorique. En clair, si les «idées ne changent que les idées», l'œuvre de Marx peut et doit effectivement, tout d'abord, être étudiée pour elle-même. La lecture de la «prévision» de Marx par Rubel reste, de ce point de vue, on ne peut plus actuelle, pertinente sans aucun doute, avec à la clé cette question du politique au devenir de tous : jusqu'à quel point, «de larges masses de gens sont-elles prêtes à endurer leur misère, non seulement dans un sens matériel, mais aussi au sens spirituel ?». Question aussi éminemment éthique, en ce qu'elle recouvre de légitimité – ou pas – à simplement la formuler, au nom d'une collectivité.
Cet ouvrage a donc le mérite de lever la réduction de la pensée de Marx au seul champ de l'économie, voire de l'économie politique. Et ce n'est pas le moindre paradoxe (et intérêt) qu'il soulève que de rendre encore plus évidente la véritable déshérence qui a frappé, après-guerre, inexorablement, les grands mouvements de pensée, telle l'Ecole de Francfort, visant à réconcilier l'esprit et la vie, la théorie et la pratique, tant sur les plans littéraires, sociaux que politiques.
Maximilien Rubel, pour redécouvrir Marx, par Miguel Abensour et Louis Janover, Sens & Tonka, 12,50 euros.