Déployée jusqu’au 28 novembre sur trois lieux tout proches de la rue Saint-Roch (Paris Ier), la galerie 24B, la chapelle du Calvaire et la galerie Antonine Catzeflis, une exposition conçue par Damien MacDonald convie une soixantaine d’artistes et auteurs contemporains à « Dessiner l’invisible ». Entrée en matière.
Que renferment ces poings dressés d’Axelle Remeaud que même leur constitution en résine ne peut laisser percevoir ? Ou plutôt comme l’indique le titre de cette installation que laissent-ils « apparaître » sinon cet élan qui anime tout geste, brouillant par son surgissement toute frontière entre le dedans et le dehors ? Ces poings dressés sur leur socle de bois recèlent toute la nuit qui tombe sur eux, comme peut le figurer, suspendu au plafond dans la même pièce de la galerie 24B, le « Nid de chauves-souris » en porcelaine de Serena Carone.
Si l’acte même de dessiner s’étend de part et d’autre du dedans et du dehors, de l’intérieur et de l’extérieur, c’est que l’invisible provient de la matière de la nuit, telles les silhouettes nappées de noir d’Anaïs Ysebaert émergeant à la trouée du regard d’« Horizons pâles », de l’autre côté de la rue Saint-Roch, galerie Antonine Catzeflis.
Dedans, dehors, c’est cette représentation de « jours sans sommeil » de Moonassi (que l’on peut retrouver dans le beau et récent numéro 4 de la revue Le Chant du monstre), frappant uniment l’un et le multiple, l’espace se résorbant à un puits sans fond dans le temps anéanti.
Ce sont là les « plaines » du sommeil évoquées par Andreï Tarkovski dans un entretien avec Thomas Johnson, reproduit dans le catalogue de l’exposition. Les rêves, eux, cheminent vers les « montagnes », les géographies mentales d’Albert Palma que coupe la corde rigoureusement médiane sur laquelle danse le geste de dessiner.
Conjointement aux œuvres contemporaines exposées, où se glissent quelques invités (Bellmer, Duchamp, Ernst, Zürn, Klossowski), les principaux instigateurs de « Dessiner l’invisible » filent de véritables enquêtes historiographiques. La notion d’invisibilité se trouve ainsi étendue à des événements insolites ou majeurs de société. Ce sont les maisons hantées d’Émile Tizané, représentant des forces de l’ordre « invisible » retracé par Philippe Baudouin ; c’est le « sarcophage » de Tchernobyl filmé par Thomas Johnson et Louis Jammes, traquant « l’ennemi invisible » dans toute son atroce réalité… Mais c’est la science révélée aux « shadowgrammes » inventifs d’Anaïs Tondeur qui ouvrait les cosmogonies et autres méditations sur l’univers de l’exposition. Et c’est le mot « espoir » d’un homme qui ne se rêvait plus que seul que l’on retient de l’entretien d’Andreï Tarkovski avec Thomas Johnson en avril 1986.
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« Je dessine. Ma chair est mise à nu comme une dernière parole, car dessiner ou peindre n’est pas montrer un savoir que l’on aurait des formes du monde, mais les laisser paraître, faire en sorte qu’elles paraissent, parce qu’elles nous savent ignorants […] » (Albert Palma, extrait d’un entretien avec Damien MacDonald, publié dans le catalogue de l’exposition).
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« Dessiner l’invisible », l’exposition se tient jusqu’au 28 novembre aux 23, 24 et 24 bis de la rue Saint-Roch, 75001, Paris. Galerie 24B, chapelle du Calvaire et galerie Antonine Catzeflis. Le catalogue de l’exposition fait quelque 700 pages (20 €). Il est possible d’assister dans le cadre de cette exposition-événement à la performance de danse d’Anusha Emrith et Martin Grandperret et à la projection d’une installation vidéo de Yannick Haenel et Caroline Duchatelet autour de L’Annonciation de Fra Angelico, à la chapelle du Calvaire.
Pour tout renseignement, voir ce site où figurent des vidéos de présentation de l'exposition.