Aux dernières nouvelles, l'adaptation par Walter Salles du roman d'une «génération» de Jack Kerouac serait en route. Et voici qu'aux acteurs confirmés pourrait s'adjoindre un authentique figurant, qui a tout fait pour le rester: le trimardeur Jehan Belay.
Enfant naturel d'une Américaine et d'un Français qui trouvèrent à s'employer sur le paquebot Normandie, Jehan est laissé en bas âge en nourrice dans une famille miséreuse d'immigrés portoricains à New York, qui allait devenir sa famille adoptive. Car même s'il a continué un temps à voir ses parents, las, les escales s'espacèrent, la guerre de tous contre tous, du singulier au général, qui veut en toutes circonstances sa part intime du théâtre des vies, sépara ce petit monde inexorablement.
Comme s'il tournait le dos à cet océan qui lui a tout pris, l'adolescent ne rêve que de continent (américain), file après-guerre sur les routes, trouve du travail dans les importants consortiums aéronautiques de Winnipeg, au Manitoba, ville où le retient, de son aveu même, l'importante communauté de langue française.
C'est dès lors un ouvrier hors pair, passionné de théâtre élisabéthain, passeur apprécié des équipes corporatives de football américain, qui invente à son tour l'espace de son « américanité », faisant la route d'Avant la route. Car c'est sans doute avec cette sorte d'inconnu que Jack Kerouac échange quelques balles de mots crevés dans les bas-côtés de ses feuilles d'herbe.
Jehan Belay n'a jamais fait état de ces années-là, pas plus qu'il n'a gagné la Californie beat. Il a filé son théâtre d'ombre, définitivement acteur de sa propre vie.
« Je n'ajoute qu'à la légende », me dit-il lors d'une heureuse rencontre dans le Cotentin, en présence de sa compagne d'une vie.
« La vie est ma seule écriture. Et de cette écriture je ne me tiens qu'aux faits et gestes. Je la suis comme un loup solitaire, hors de sa tanière, je suis un jusqu'au-boutiste de la parole. Je me suis toujours refusé, de quelque manière, fût-ce l'art, à porter le deuil de la parole. »
« Et c'est ainsi qu'on devient une authentique vie imaginaire pour tout autre – ce que l'on est intrinsèquement – par le simple fait de l'avoir vécue soi-même uniquement au contact des autres, au hasard des rencontres et du chemin que l'on a parcouru, qui est la seule distance qui importe. »
Jehan Belay fête aujourd'hui ses 80 ans, quelque part sur un lieu de tournage improbable. Gageons qu'il ménage une apparition toute fictive...