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Billet de blog 3 octobre 2012

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Le passage, d'après Mayo

Quoi d’autre qu’une brèche pour montrer ce que la conscience humaine a historiquement séparé ? Cette effraction, on peut la représenter avec malice, comme le peintre Mayo, non en suggérant de remonter à quelque oiseuse origine, mais en désignant à la vie humaine simplement son passage.

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Quoi d’autre qu’une brèche pour montrer ce que la conscience humaine a historiquement séparé ? Cette effraction, on peut la représenter avec malice, comme le peintre Mayo, non en suggérant de remonter à quelque oiseuse origine, mais en désignant à la vie humaine simplement son passage.

Depuis des décennies que l'œuvre de Mayo semblait comme négligemment remisée, on ne peut que se réjouir de la parution d’un ouvrage qui lui est consacré, dans l’attente de prochaines expositions. Du moins si, comme l'a écrit Petr Král, « pris d'un vertige qui les déborde, les êtres et les choses échappent », parviennent à réchapper de « l'emprise du temps », de notre temps cyclonique.

Naturalisé Français dans les dernières années de sa vie (1905-1990), le peintre grec Antoine Malliarakis, dit Mayo, a zébré le siècle de son passage oblique, donnant à voir, toujours selon Petr Král, un « monde de plein air, ouvert comme au matin d'un beau jour d'été ». Et pourtant tout y figure, hommes, objets, choses, comme de « simples témoins d'une tempête qui s'est retirée ». Collaborateur de la revue Le Grand Jeu dans les années 1930, costumier, décorateur pour le cinéma, rares depuis les années 1990 furent ses célébrations.

Dans ce tableau, curieusement absent, « Le penseur sans peur » qui lui donne son titre a laissé un livre ouvert sur une table. Peut-être est-ce lui qui peint cette toile où s’ouvre une brèche en arrière-plan juste derrière l’unique chaise soigneusement posée entre les pieds de la table. Est-il supposé sans peur d’être ainsi adossé à un vide que l’on imagine plus qu’il n’est représenté ? Ou bien la malice ne consiste-t-elle pas justement à mettre la pensée et ses outils figurés par la table et le livre clairement en rupture dans ce paysage, faisant face à l’observateur, et incitant celui-ci à venir occuper la place si le cœur et l’estomac lui en disent ?


Cette table de travail apparaît d’autant en rupture que la brèche en arrière-plan l’isole, en détachant quelques contours sur fond de ciel blanchi. Non figuré, le penseur du tableau se tient-il en deçà de cette fracture, relégué en un temps mythique d’où il « embrasse encore la totalité de ce que nous désignons d’une part comme monde, d’autre part comme existence humaine », comme se plaît à le camper, pour mieux le congédier, comme si cela n'avait jamais été, Paul Ricœur dans Temps et récit ?


Ou bien, a-t-il trouvé le passage, celui du temps vécu, entre ces deux parts séparées de l’existence par la conscience que l’on en a.

Mais sans les réconcilier pour autant. Simplement en s’absentant du tableau pour le peindre. Ou comme le Roland de la chanson de geste, tournant le dos à l’histoire récitée pour en ré-énoncer par ses reprises le sens ainsi infiniment jonglé de main en main, de bouche à oreille.


Ainsi renaît l'épique, le passage...
NB. Sur le site consacré à Mayo, on peut découvrir quelques-unes de ses peintures, voir ici.
L'ouvrage d'Evelyne Yeatman-Eiffel peut également y être commandé.
Voir aussi le site de la galerie Alain Blondel, ici.
Pour Petr Král, je fais référence à « Le monde selon Mayo – Confidences d'été », un texte publié dans Opus international, nos 123-124, spécial André Breton et le surréalisme international, 1991. La phrase de Jacques Abeille que je citais mal à propos dans la 1re version de cet article était extraite d'un texte sur Georges Mimiague, non sans résonance avec le  « monde pétri de nudité ferme et de poignante intelligence » de l'œuvre de Mayo.