Les trois coups du Printemps des poètes
- 4 mars 2011
- Par Patrice Beray
- Blog : Inspire, ce n’est rien

« Un oiseau qui se pose en vaut cent qui s'envolent », a écrit Jules Supervielle. Ici ils sont trois. Deux d'entre eux ont peu ou pas publié encore.
Engagées, fermes dans leurs démarches pleinement initiées, leurs écritures sont intéressantes à mettre en regard (voire à confronter) en ceci que, dans un paysage poétique largement atomisé, peu fédérateur, ce sont des aventures forcément séparées.
Mais singulières, ce sont là aussi des manières de tracer du doigt dans la poussière une lumière toujours incertaine.
Où il s'agit bien pour chacun de transparaître.
Comme si créer, de quelque manière qu'on le fasse, des uns aux autres, c'était finalement s'attacher à déterminer nos « places respectives au milieu du sable des passions* »...
Sophie Brassart
Rome : Bocca della verita
Rire au creux de l'ombre
Rire au mourir, les côtes cassées,
Rire à gorges déployées
Rire à ne plus vouloir de tombe
Rire vos grelots égrenés
Rire arbitre les destinées
Rire étalon rire soupir
Un écrin d'eau dans tes cheveux
Mon souvenir
Tu passes, sans hâte,
Écoutes les rivières
Tu cueilles, badines et guettes
La rumeur n'est pas inquiète
Effeuillé comme à l'automne
Les grains des fleurs fanées
Ton rire jeté dans la vallée
Tu sais ? la nuit pourra blanchir
Rire amer éclat des voix
Rire évincé nos cercles étroits
Rire carnage du sang présent
Tir sauvage nous sommes vivants !
Prométhée
J'ai volé
La tristesse des fleurs fanées
Coton qui s'afflige
Dénudé
Le feu des prairies
Verte pomme avalée
Par la terre rousse
Normandie
Un ruban noir, Empirée
Nappes ondulant sur les grains
Sillons du ciel
Ou de la main
L'Oiseau d'été
Les pierres nues
Sans lignée
Les châteaux morts
L'amer et le chant
Le sang et l'objet
Le temps perdu
(sur cet auteur, voir ce site)
Simon Crabot
Son cerveau fonctionne par compression, comme tous les cerveaux paraît-il, on y pense, c'est une idée. Le sien peut être par compression super-destructive, des maisons, des arbres, deux trois couleurs centrales, la base, le reste aucune idée, si elle s'en fout si c'est comme ça : une vision mémorielle low definition. Même de son appartement, son corps, ses peut être amours, l'essentiel ; deux trois traces physiques sur lesquelles elle marche, via lesquelles elle se blesse, qu'elle porte, le reste une idée, dire non jamais chaque fois, en douter mais vraiment, non, jamais.
*
Parce qu'elle comprend le corps des autres. Comme une machine à erreurs parfaites, elle voit les fissures /// les trous béants, les espaces clos. Elle redonne de l'importance à des morceaux de peaux, des formes vagues. Elle est brutale par nature, donc : elle frappe à l'infinie ; c'est un miroir émotionnel.
*
Plus tard dehors, sa voix ne résonne pas. Elle est mate dans les cathédrales, silencieuse en extérieur. Sur les places vers lesquelles elle marche, sur lesquelles elle marche, rien ne bouge. On la laisse revenir, ulysse moins les obstacles.
*
Elle creuse l'écart avec les autres corps, elle multiplie les tentatives, les échappées, mais toujours, au dernier kilomètre.
(Extraits de Twist, et sur cet auteur, ce site)
Emmanuelle Favier
Le visage tendu des hommes écorchés à la barre, l'odeur féroce de leurs membres qui s'accrochent aux filets. Dans leurs embrassements subsistent les moiteurs rêches des cordages. En aval de la môle, leurs poings serrés comme des tenailles défrichent les seins des filles, comme pour aiguiser l'arc d'étoupe du ciel.
Tu pardonnes à l'obstination des vagues sa cruauté toute d'argent, et les chants inarticulés qui se couchent et s'abattent en ailes vives sur les rails. Ma détresse s'y dilue en phosphores, qu'elle meure parfois sous tes reins, leur dénuement fugitif et ambré. Le vent délivre des messes marines pour tes mains qui se tordent sur mes flancs.
Au-dessus de nous qui pesons l'un sur l'autre, dégoutte un carré de nuit montante. Ta jambe écrase ma hanche, et nous rêvons de ces sphaignes qui étoilent les versants décolorés des heures, celles où le sommeil interrompu dérobe ses teintes à la fatigue.
Ma douleur se noie. Peut-être par la force de la bordure de grosses pierres, celle qui longe le bassin creusé par la mer dans l'ouvrage de granit. Peut-être par la menace des vagues au-dessous, quand je m'assieds sur leur lit irrégulier. Elles ironisent chacune sur les fièvres de parole qui tordent ma pensée.
Tes haubans n'en finiront jamais de chanter, et je charrie l'unisson, et le disperse et l'étoile, tant, qu'il se délie dans ta trace. Dis-moi, seulement, si je peux m'en remettre aux tentations du phare. Dis-moi ce qu'il promet de frayeurs espérantes au sein du sombre large.
***
Je repars, vers le haut
Tandis que tu descends
L'eau s'écoule en pans vastes sur cette colline urbaine
Comme sur les plages
Où tu m'as montré
Que la mer était autour de nous parfois
Que la mer était notre débâcle
Que la mer était cette aube où nous nous déployons
Où nous dégorgeons le vide emporté de la terre
Mais ce n'est que le bitume qui dégorge ses chaleurs
Et je repars en claquant ses algues de pétrole
En mouillant mes pieds
Tandis que dans mon dos
Tu descends pressé la colline et ses mares
(sur cet auteur, voir ce site)
*Claude Tarnaud (citation)
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