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Billet de blog 5 avril 2009

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Le fin mot, la fin' amor

Les troubadours du XIIe siècle ont transmis à la postérité un secret que personne jusqu'ici, faute d'avoir pu le percer, n'a pu éventer. Dans le cadre de leurs Banquets, les éditions Verdier convient à un atelier «Troubadours et Trobar» à l'abbaye de Lagrasse, dans l'Aude, dont les rendez-vous courent jusqu'à l'été.

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Les troubadours du XIIe siècle ont transmis à la postérité un secret que personne jusqu'ici, faute d'avoir pu le percer, n'a pu éventer. Dans le cadre de leurs Banquets, les éditions Verdier convient à un atelier «Troubadours et Trobar» à l'abbaye de Lagrasse, dans l'Aude, dont les rendez-vous courent jusqu'à l'été.

Ce sera l'occasion sans nul doute de vérifier que ce secret est bien scellé... dans l'écriture.

C'est le propre de toute invention, c'est même ce qui en fait le prix inestimable, de «résister», par la force de l'évidence, à toute analyse rétrospective. Surtout quand il s'agit dans le cas des troubadours de s'expliquer comment un art poético-musical, lyrique, c'est-à-dire fait pour être chanté, a pu atteindre aux XIIe et XIIIe siècles à une telle sophistication écrite.

Nombre d'hypothèses ont été émises sur ce secret de fabrication (on a notamment avancé pour Guillaume IX d'Aquitaine des emprunts à la prosodie de la liturgie latine), sans le déflorer. Quant à son extraordinaire essor culturel, la lyrique médiévale écrite le doit sans aucun doute au véritable creuset de poètes qui l'ont nourrie. Du trobar clus d'Arnaud Daniel, qui influença Dante et Plutarque, au descort de Raimbaut de Vaqueiras, composé en cinq langues à l'intention de ses pairs, c'est une véritable communauté de dialogue sans frontières entre troubadours qui composa la fin' amor.

Devant tant d'inventivité poétique, le médiéviste Paul Zumthor a émis l'hypothèse séduisante de l'incommunicabilité consubstantielle de la fin'amor. Cette inouïe lyrique médiévale se fonderait sur un «dialogue sans retour» avec l'être aimé.

Ainsi, ce secret de l'écriture serait existentiel, ce serait une expérience troublée, mais devenue constitutive de tous les nombres d'or que la poésie a inventés au travers des mille formes (historiques) qu'elle a revêtues pour mieux le travestir, ce secret qui s'éventerait, qui s'oxyderait sans cela.

Et ce, afin que seule l'écriture délivre le fin mot de l'histoire :

Chaque chose murmurait «rappelle-toi bien»

Il fallait garder l'image non pas la chose

(Ilarie Voronca, «Les mains vides», Beauté de ce monde).

Dessin: Damien MacDonald, Le pantin, le masque et l'ondine.

Atelier «Troubadours et Trobar», animé par Gérard Zuchetto, à l'abbaye de Lagrasse (11200) : «Aux sources premières de la langue occitane dans les mots et les sons, le langage d'un art poético-musical fondateur des littératures européennes au Moyen Âge. Un atelier pour comprendre cette géniale invention des troubadours : Trobar e Torbar, inventer et troubler. Dates à venir : les samedi 11 avril, 9 mai, 6 juin et 4 juillet de 10 h à midi.»