Patrice Beray (avatar)

Patrice Beray

Journaliste, auteur

Journaliste à Mediapart

180 Billets

1 Éditions

Billet de blog 7 octobre 2012

Patrice Beray (avatar)

Patrice Beray

Journaliste, auteur

Journaliste à Mediapart

Oiseau-lyre a ri (Arlt et nous)

Comme dans ce bijou de chanson de Arlt, « Après quoi nous avons ri », il y a dans l’écriture lyrique telle qu’elle nous parvient encore un avant et un après, où le rire et la peur échangent sans que l’on y prenne garde leurs places respectives confrontés à l’état du monde qui nous entoure.

Patrice Beray (avatar)

Patrice Beray

Journaliste, auteur

Journaliste à Mediapart

Comme dans ce bijou de chanson de Arlt, « Après quoi nous avons ri », il y a dans l’écriture lyrique telle qu’elle nous parvient encore un avant et un après, où le rire et la peur échangent sans que l’on y prenne garde leurs places respectives confrontés à l’état du monde qui nous entoure.

Ainsi c’est toute la poésie en langue française qui est traversée, notamment depuis les années quatre-vingt, par cette question de la figuration lyrique, traduite parfois comme un retour du « sujet » s’extirpant des rets puissamment analytiques, réducteurs donc, des sciences du langage.

Au passage, on notera que les poètes ont répondu par avance dans des ouvrages collectifs à ce contexte ici trop hâtivement dressé. Ce furent pour l’essentiel dans les décennies précédentes ceux du Manifeste électrique aux paupières de jupe ou De la déception pure (Le Manifeste froid)*. Ces poètes n’ont fait par là que révéler un point névralgique dans toute la pensée issue de l’après-guerre : la nécessaire réflexion éthique et politique entreprise en raison des désastres humains passés a porté de façon dominante à une attention exclusive à la société organisée.

Or, comme le dit le « nous » de la chanson de Arlt, la peur est exclusive, le rire partagé. Quand il essaie de s’extraire de ce milieu de la création pour « lettrés », le lyrisme d’aujourd’hui en poésie est souvent d’imitation, reconnaissable à une rhétorique discursive où les postures, surtout parmi les très contemporains, reproduisent le schéma exclusif du « Je » et « eux » (fustigés au nom de l’abrutissement général).

À tout le moins, le sentiment amoureux en tant que bonheur privatif, privé, sur le mode du jardin secret, a encore de beaux jours devant lui avec ce lyrisme-là.

Et puis il y a le « nous » inclusif, celui qui rassemble après la peur vécue individuellement, laquelle fait ses trous perpétuels dans le psychisme, séparant chacun à jamais devant la douleur, ou la mort. C’est ce lyrisme d’un avant et d’un après, qui se sait dans des mondes d’êtres confrontés à un même état du monde défectueux, qui dit et chante sans complaisance pour soi-même que le rire a un prix, qu’il est si précieux pour nous.

Il y a ce « nous » d’en rire ensemble, d’en vivre. Avant ou après donc la peur, l’individuel ou le collectif : on se moque de savoir au juste, dès lors que l’oiseau-lyre rit.

*Respectivement en 1971 et en 1973.
Sur Arlt, voir ce billet précédent : ici. Et de la même chanson, cet autre enregistrement vidéo, ici, extrait de l'album La Langue (2010).