Bons ou mauvais selon qu’ils figurent une expression divine bienfaisante ou maléfique, et nonobstant leur subtile hiérarchie, les anges sont avant tout des messagers à qui ils incombent d’intervenir dans le milieu humain pour y faire une annonce. Ils ont même ce redoutable privilège de n’avoir d’autre réalité que ce à quoi on les destine. Ils sont prédestinés, en tant qu’ils figurent la destinée qu’ils portent à la connaissance des humains.
«Mais, comme l’écrit le poète Guy Cabanel, la position de l’ange dans ce monde est alors dangereuse car, ainsi matérialisé pour entendre et se faire entendre, ne doit-il pas ressentir les mêmes pulsions, passions et sentiments que n’importe quel individu et le fait d’y céder, au propre comme au figuré, ne lui couperait-il pas les ailes ?»
C’est sciemment que le poète passe outre la théorie de saint Augustin «selon qui, loin d’être une parcelle de la divinité, l’ange est une créature de Dieu au même titre que l’homme, qu’en outre sa nature à la fois incorruptible et peccable, si elle autorise les péchés de l’esprit, n’admet pas ceux de la chair».
Or, suggère Guy Cabanel, «si l’ange n’est que la projection programmée d’une infime portion de divinité, son ignorance de l’état de matérialité où il se trouve suffit peut-être à le garantir contre les effets de la tentation». «Peut-être»…, car précisément, s’autorisant des annonciations peintes par Pontormo et Giambattista Tiepolo, le poète n’exclut pas que «l’ange» puisse se lamenter «de son immatérialité».
Et peut-on imaginer analogie plus porteuse de notre condition que celle de cet ange qui vole de ses propres ailes : «Il n’aurait de réalité que par sa projection dans l’espace et le temps car c’est là qu’il acquerrait matérialisation et personnalisation et ses ailes, inutiles à un être purement spirituel, ne seraient pas seulement là pour assurer sa mobilité dans l’air mais surtout pour garantir ou symboliser sa liberté par rapport à cet espace-temps où il est entré.»
NB. Compagnon de route du surréalisme d’André Breton (au moment de Saint-Cirq-Lapopie), Guy Cabanel est un poète aussi rare qu’inestimable (les citations sont extraites d’un texte inédit, qu’il a bien voulu me confier, «Réflexions sur l’ange»).
Dessin de Damien MacDonald