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Billet de blog 8 octobre 2008

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Michel Houellebecq, un poète ordinaire ?

L'ordinaire est une notion à la mode depuis au moins l'après-guerre dans les sciences humaines (et littéraires). Cette valeur qu'on lui prête désormais, toute une tradition de poètes l'exprime depuis fort longtemps. Tradition à laquelle il serait tentant a priori de rattacher la poésie de Michel Houellebecq.

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L'ordinaire est une notion à la mode depuis au moins l'après-guerre dans les sciences humaines (et littéraires). Cette valeur qu'on lui prête désormais, toute une tradition de poètes l'exprime depuis fort longtemps. Tradition à laquelle il serait tentant a priori de rattacher la poésie de Michel Houellebecq.

Dans Interventions (1998), l'auteur lui-même met sur cette piste de lecture : « Je suis fasciné par les phénomènes inédits du monde [...] Je n'arrive pas à dépasser cet aspect des choses, à échapper à cette réalité : je suis effroyablement perméable au monde qui m'entoure. » Par écho, on peut entendre également dans ce sens les titres qu'il donne à ses recueils de poèmes : La Poursuite du bonheur (1992), Le Sens du combat (1996). Et ces quelques vers comme emblématiques de cette démarche :

« Et le monde a pris forme,

Le monde est apparu

Dans sa présence nue,

Le monde. »

Par ailleurs, il faut bien voir que l'ordinaire se décline sur une modalité de temps bien spécifique : le quotidien. Pour une grande part dans la poésie « moderne », sa spatialité est celle de la ville, des lieux de passage, où va pouvoir s'inscrire toute une rhétorique du ressassement, à la manière d'une « métrique » de la vie. Houellebecq se demande d'ailleurs « comment les autres poètes arrivent à s'y soustraire : vivent-ils tous à la campagne ? ».

Dans le contexte de cette « extension du domaine de la lutte » prôné par l'écrivain dès son premier livre, pour affronter avec un héroïsme tout contemporain la vie quotidienne, rien de tel, semble-t-il (voir également du côté de Philippe Muray par exemple), que le recours (ou retour) aux poèmes à forme fixe (sonnet par exemple), où tintinnabulent à souhait la métrique royale de l'alexandrin, ou celle, plus élégiaque, de l'octosyllabe, quitte à glisser quelques vers « faux » sous ses pas :

« Et le but de ma vie s'efface

Droit devant, la tour Montparnasse

Dont les étages au ralenti

S'allument comme un rêve englouti »

Jules Laforgue, le père du « vers faux » selon Mallarmé, se serait sans doute exclamé à ces vers de Michel Houellebecq avec toute la dérision amère, décadentiste qui l'animait, la bouche en chœur d'octosyllabe, et sans sourire : « Ah ! que la vie est quotidienne ».

C'est que la poésie a partie liée de longue date avec cette lutte contre les nécessités apparentes, sur fond de gouffre personnel et de déréliction universelle. Toute une tradition de poètes trouve à y être ressourcée : celle de l'infortune, de la pauvreté de moyens dans l'écriture, de l'humilité du poème de Rutebeuf, de Villon. Passé le règne du surréalisme (beaucoup pour le meilleur) sur les lettres françaises, on a redécouvert cette poésie du « sujet », du « moi », du récit latent, de l'affectivité qui peut être ouverture au monde, tout comme l'imagination. Retombé le soufflé de l'analyse structurale du poème, on a redécouvert dans les œuvres poétiques jusqu'à ce qui du passé, de l'oubli ne peut s'oublier, notamment chez Nerval avec sa recension toute personnelle, affective, profondément sensible, des chansons populaires.

Dès les années 1960, c'est cette même tradition poétique que fit entendre, en éclaireur, un poète comme Georges Perros dans ses Poèmes bleus (1962) ou Une vie ordinaire (1967).

« Si ton bonheur est dans le vent/ Donne au vent toute la nature ». Ce distique (en octosyllabe) de Perros montre combien ce poète avait compris la grande leçon de cette modernité si décriée par « nos contemporains » : à savoir que, comme le dit si justement Henri Meschonnic, « la nature est dans la voix », et non l'inverse. C'est le langage, et lui seul, qui ouvre « au monde d'une voix » d'un poète, selon Armand Robin.

Voici ce qu'est un poème ordinaire, d'un poète ordinaire, pour Georges Perros, assez proche sans doute de l'idée que s'en fait Michel Houellebecq, mais que l'on peut juger bien éloigné de ce que lui-même donne à lire :

«Vivre est assez bouleversant

quoique médisent nos sceptiques

De quoi demain sera-t-il fait

ô plus on va plus on le sait

car enfin le jeu perd sa mise

et les dés meurent dans nos mains

Porte de plus en plus étroite

qu'il est maigre notre destin

pour y trouver de quoi le fuir »

(Georges Perros, Une vie ordinaire)

Il est vrai que Perros n'a jamais déclaré, comme Houellebecq, « je m’intéresse moins au langage qu’au monde »