Il en va de la première réalisation de Mercure, alchimie opérante, comme de ces toiles en forêt, se déchirant pour rouvrir indéfiniment le passage. C’est qu’en art comme dans la vie, seule la traversée importe, non mortelle. Et s’il faut, comme on l’admet, deux points pour tracer une ligne, ce sont alors les extrêmes que l’on enjoint de commuer, transmuer le temps en passage pour le désir.
Ainsi de Mercure, revue ou plutôt espace d’exposition et de création, dont chaque numéro se veut à la fois le creuset d’une expérience collective, initiée en un lieu singulier, et le débord infini de ce lieu, de cette action. Toute d’un seul tenant, recto verso, la revue papier se déplie, s’éploie en germinations tactiles et cosmogoniques. Jusqu’au site numérique dédié de Mercure qui ouvre en continuum d’autres fenêtres d’images.
Si quatre jeunes artistes sont à l’origine de cette aventure – Maya Palma, Manon Recordon, Martha Salimbeni et Giuliana Zefferi –, cette alchimie moderne qu’est devenue la nouvelle altérité (laquelle désignait d’abord la matière même) s’est faite en présence de Damien MacDonald, Sylvain Azam, Adel Ghezal et Hippolyte Hentgen.
Pour ce numéro zéro, ces jeunes artistes ont choisi pour se retrouver un lieu en retrait des Cévennes :
« Se souvenir du verre cassé, du visage fragile, de cette société qui continue, du moteur qui tourne, de la planète qui tourne, de ma tête qui tourne. »
Sur le seuil, les voyageurs ont plongé dans l’intériorité absolue du lieu (je le sais d'expérience...), se rêvant dans la nuit du monde, celle du roman noir gothique, du fantastique, enfin réappropriée :
« Le voyageur frappe le carreau à plusieurs reprises, les coups sont étouffés. Il dévale les escaliers, dehors la nuit est tombée. Une chouette effraie, l’œil éveillé, parade au-dessus d’un muret circulaire sur lequel on peut lire l’inscription :
SI SEDES NON IS
SI NON SEDES IS »
(Si tu t’arrêtes tu ne vas pas. Si tu ne t’arrêtes pas tu vas.)
Splendide objet d’art (composé d’ex-libris, acryliques, encres...), s'engouffrant résolument dans les trous béants laissés par les générations précédentes, Mercure peut se revendiquer d'une « quatrième dimension » de la création, de cet espace-temps littéral d'où, « au centre, des marches fuient vers l'infini ».
Nota bene. Ce billet pourrait faire suite à un précédent intitulé « La communauté avouable », tant l’expérience de Mercure offre d'autres facettes à ce qu'accomplit La vie manifeste, en une démarche tout aussi désintéressée et radicale.
Autre face du monde, autre expérience, le prochain numéro de Mercure sera fabriqué... à la Villa Médicis, à Rome, qui va prêter pour l’occasion ses appartements à la revue.
Une soirée événement de Mercure a lieu ce jeudi 14 juin, de 18 h à 22 h, à la librairie Le Monte-en-l’air, 2, rue de la Mare, 75020 Paris. Ce no 0 : 6 euros (voir site).