«C'est dommage, vous avez tout pour vous entendre: vous, vous n'avez pas de passé, et lui, il n'a plus d'avenir.» Cette sentence assez détachée pour être visionnaire sur le couple contrasté que forment Mia Farrow et Laurence Harvey dans A Dandy in Aspic (Maldonne pour un espion) tombe de la bouche même de l'odieux de service (secret et britannique en l'occurrence).
Le réalisateur Anthony Mann mourut au cours de ce qui fut son dernier tournage (1967) et le film fut achevé par l'acteur principal, Laurence Harvey. La trame de ce film d'espionnage est fournie par la situation sans issue d'un agent double, un espion russe infiltré de longue date dans le renseignement britannique, qui rêve d'un retour au bercail rendu impossible par ses propres compatriotes.
À la suite d'une série d'assassinats d'agents britanniques, ordre lui est donné d'abattre un redoutable agent soviétique soupçonné d'en être l'auteur: les services secrets britanniques lui désignent cet homologue du camp adverse sous sa propre identité (cachée) russe. L'agent double se voit donc contraint de se mettre en chasse de lui-même.
Ce film d'espionnage tout en effets de miroir était programmé en juillet à la télévision au Cinéma de minuit. Si ce n'était un effet de décalage horaire malséant inscrit dans mes «gènes» quotidiens, j'aurais fait sans doute une exception pour cette émission de Patrick Brion, la voix, vous savez, la voix du Cinéma de minuit.
J'ai appris alors même que je revoyais sur CD Maldonne pour un espion que cette voix nuitée de l'écran n'était autre que celle du fils de Marcel Brion, ce Merlin qui n'eut de cesse d'enchanter les voix du monde, d'animer choses, animaux, êtres familiers et également fantastiques, prodigieux intercesseur vers son monde autre.
Dans Maldonne pour un espion, c'est à l'ingéniosité d'un personnage féminin (Mia Farrow) qu'on doit ce choc des mondes. Car ce James Bond n'ignore aucune des lois de la gravité humaine. Le coup de grâce à l'illustre modèle de Ian Fleming est d'ailleurs porté comme il se doit dès le générique (de début et de fin) par l'absurde d'une marionnette ballottée, emprisonnée dans ses propres fils. Tout dans Maldonne pour un espion est à l'instar du retournement de la véritable scène de genre de séduction sexuelle, simplement «actée» ici avec la secrétaire idoine, comme prise à rebours, dévitalisée de son faux poison, et qui va faire place nette à la convoitise d'une jeune inconnue.
Du général (la guerre froide) au particulier (un destin individuel), cette confrontation bloc contre bloc n'a de fissure véritable qu'extirpée des armées de l'ombre, que rapportée à des tourments de chair et d'os. Surtout s'ils sont la proie de l'amour aussi peu farouche qu'innocent d'une jeune femme hors du commun. La multiplication des rencontres fortuites qu'elle essaime au devant de l'agent double dans un Berlin campé en nids d'espions fait jouer avec délices tout au long du film une double trame, presque indissociable, que doit trancher l'énigme: criminelle et amoureuse.
Du moins l'héroïne s'y essaie-t-elle, en pure perte, sans doute. L'homme qui doit se tuer lui-même ne peut pas manquer sa cible. Sauf à devenir son double.
Maldonne pour un espion, Anthony Mann, 1967, 103 min en DVD.