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Billet de blog 17 août 2016

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Des nervures sous nos jours: André Markowicz, Laura Vazquez aux Lectures sous l’arbre

À ceux pour qui l’été commence à peine, voire ne serait pas sorti des sables en ces temps si peu propices à la générosité aventureuse, à la générosité tout court, conseiller le poème aux Lectures sous l'arbre organisées par Cheyne éditeur du 14 au 21 août.

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Illustration 1
© Photo de Marie-Élisabeth Gaudefroy
À ceux pour qui l’été commence à peine, voire ne serait pas sorti des sables en ces temps si peu propices à la générosité aventureuse, à la générosité tout court, conseiller le poème : le poème pour effeuiller l’été sous les jours à la nervure soudain plus perceptible, comme des lignes qui chercheraient leur vie battante, si pleine, à rompre, d’être la survenante qu’on n’attend pas, ou plus.

Ainsi, à l’occasion de ses « Lectures sous l’arbre », qui s’effeuillent depuis 25 ans, Cheyne éditeur entend célébrer ces jours-ci la poésie chinoise, et il y fallait une manière d’ambassadeur, un auteur-traducteur insatiable de curiosité, aimant à travailler les lignes de risque : ce sera André Markowicz dont l’ouvrage Ombres de Chine, une anthologie de poèmes chinois de l’époque Tang (qui court entre les VIIe et IXe siècles), avait été évoqué ici.

À ceux qui seraient tenus à l’écart de ces rencontres (voir ici le programme détaillé), on ne saurait trop indiquer un chemin de traverse, buissonnier au sens propre, puisque l’occasion en est donnée. Ce chemin de germination et de ramification qui mène secrètement, assurément, à cette édition des « Lectures sous l’arbre », est à reprendre dans les livres de ce poète disert, et pourtant discret, qu’est André Markowicz.

Illustration 2
© Photo de Marie-Élisabeth Gaudefroy

On le sait, un poème se reconnaît à la vue, à l’écoute, se signale par sa présence singulière sur la page : ouvrir, y compris sur une tablette numérique, certains livres de Markowicz incline à cette reconnaissance. Il suffit de se fier à la disposition des vers sur l’espace de la page. Et c’est là toujours, poétiquement, « se fier à l’infidèle », selon l’impérissable élisabéthain John Donne : les subtils et incessants décrochages de mots et de segments de phrase disent cette intense expérience de lecture qu’est un poème.

Ceux-ci, par exemple, écrits en pensant à une photo de Guennadi Aïgui (tirés du recueil L’Emportement, de 2009):

                               […] L’homme
endormi sous un plaid
                     dans un fauteuil
fortuit
« quoique voltairien » sent le tabac froid
et le bout de ses doigts est jaune.

                         Il disparaît
si je ferme les yeux.
L’haleine
        est rauque pour celui qui la reprend.
Une impression d’avoir,
                    après
un rêve, erré la nuit de chambre
en chambre
       avec l’idée de lui parler toujours
ou qu’il me parle – mais les mots
sont squelettiques, si
longtemps tenus
       qu’ils se regardent […]

Ces poèmes écrits en « marge » de ses traductions par André Markowicz, lui-même les nomme « textes », référés texte à texte qu’ils sont. Mais ce sont bien sûr des poèmes par la référence au vivant, à l’existant qui les parcourt, les transperce : « L’haleine / est rauque pour celui qui la reprend. » Et comme tels ils sont infiniment à découvrir (ici notamment, à un coût modique, sur le site de publie.net).

L’appropriation du poème est d’abord cette expérience paradoxale d’un dessaisissement, d’une déprise de soi-même. Une main courante, insaisissable, entraîne les mots dans le mouvement du poème, qui ne réapparaissent ensuite qu’au fil de son écriture. Cette expérience peut s’épeler à la manière d’un complément de nom réfléchissant cette mise en abyme, et Laura Vazquez en a fait le titre de son recueil publié à l’enseigne de Cheyne éditeur : La Main de la main. Ainsi, la poète l’assure, « j’ai couvert, recouvert, la forme/ de moi-même ». Dans les mots, pas un nom qui ne tienne, qu’elle puisse s’accaparer :

Tu n’es pas une roche

ou une feuille.

Tu n’es pas une anguille.

Tu n’es pas un murmure.

[…]
Tu n’es pas une ville, tu n’es pas un soleil.

Regarde un peu tes mains.

Mais même si « la nuit n’a rien voulu dire », la poète se ressaisit au fil de son livre de cette expérience à « fendre gorge ». Par-delà ses mots et ses images, c’est l’acte d’une voix advenue qui en donne la pleine figure :

Alors que j’étais chaque planète.

Alors que j’étais le point final.

Alors que j’étais la musique.

Alors que j’étais dans le sol.

Alors que j’étais les planètes, une à une,
alors que j’étais les planètes.

Ma gorge s’est fendue,
regarde comme elle est belle.

L’édition de ces « Lectures sous l’arbre » enclines à la générosité court du 14 au 21 août. Les éditions Actes Sud figurent parmi ses nombreux hôtes, dont Christian Schiaretti et Edwy Plenel qui présentera son livre Dire nous : contre les peurs et les haines, nos causes communes.

Illustration 3
© Photo de Marie-Élisabeth Gaudefroy

Toujours « sous le charme du dragon », on pourra y découvrir une exposition de photographies de Marie-Élisabeth Gaudefroy et un cycle de cinéma chinois avec la projection de quatre films en version originale, ponctués par des rencontres avec les auteurs chinois Jinjia Li et Meng Ming ; c’est dans ce cadre que Jean-Pierre Siméon lira Le Livre des petits étonnements du sage Tao Li Fu qu’il a composé.

Et pour recommencer, cette ouverture des Gens de cendre (2007), d’André Markowicz :

Cette rumeur errante est revenue
    la nuit cogner
en « hirondelle aveugle »
à la fenêtre double et quand
je me levais pour lui
ouvrir, ou quoi,
ou regarder, j’avais le cœur
creusé et l’impression que l’ombre
avait, là-bas, fini
par se confondre avec
la pluie et les
pierres non ravalées de notre rue.
 Une existence
 vouée à ce
demi-sommeil
d’un réveil en sursaut
qu’on attendrait. On aurait dit
une surface d’âme –
 un mot
bizarre sur nos lèvres, mais
 c’est ça :
 errante
et sans colère, comme si
 c’était de notre faute, en déshérence
 et « les ailes coupées ».

« Lectures sous l’arbre », organisées par Cheyne éditeur (voir ici pour plus d’information le blog des éditions sur Mediapart).