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Billet de blog 19 avr. 2012

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La communauté avouable

Foisonnant polyèdre sur les arts dans la société animé par Emmanuel Moreira et Amandine André, le site numérique La vie manifeste propose dans sa dernière mise en ligne le regard critique de Jean-Luc Nancy sur La Communauté inavouable de Maurice Blanchot.

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Foisonnant polyèdre sur les arts dans la société animé par Emmanuel Moreira et Amandine André, le site numérique La vie manifeste propose dans sa dernière mise en ligne le regard critique de Jean-Luc Nancy sur La Communauté inavouable de Maurice Blanchot.

Depuis peu il se produit, et on le doit à de nouvelles générations, de vivifiants retours sur les décennies 1970-80 menés comme autant d’introspections complices par ceux que n’effraient pas les germinations singulières, à intervalle de temps long, des expériences créatrices.

En fait de retour, en la circonstance, nul autre ne serait mieux autorisé que Jean-Luc Nancy à revenir sur cet essai fameux de Blanchot puisque c’est à un de ses propres textes, « La communauté désœuvrée », que l’auteur de L’Entretien infini avait ainsi voulu répondre. L’auditeur, car il s’agit d’un entretien audio, découvrira ou se trouvera confirmé dans les positions respectives des deux auteurs, inconciliables quant à l’idée de « communauté », dont Nancy reste, à l’exception de celle formée par les amants, un irréductible objecteur.

Ce cantonnement d’un commun qui « fasse œuvre de lui-même », autoréalisateur, à la finitude, à la mort par Nancy a peut-être suscité les plus beaux passages de La Communauté inavouable comme réminiscences d’un autre livre de Blanchot, Le Pas au-delà, en forme d’adresse à autrui, à « celui qui mourant se heurte à l’impossibilité de mourir au présent. Ne meurs pas maintenant ; qu’il n’y ait pas de maintenant pour mourir ». On appréciera sans aucun doute que Nancy s’y livre sans concessions pour lui-même à un examen critique de la genèse de cette communauté in fine pesamment « inavouable » filée par Blanchot.

Mais l’entretien vaut aussi pour le témoignage de Nancy convoquant Lacoue-Labarthe sur ce qu’il faut bien nommer une modernité négative (revendiquée comme telle dans ces années-là par le poète Emmanuel Hocquard par exemple), issue de l’après-Mai 68, qui s’est propagée des théories de la littérature aux pratiques artistiques, favorisant parfois à leur insu la primauté des lectures formelles, reléguant sans coup férir à la marge tout rapport débordant à la prodigalité de l’existence en art.

« La Grille est un moment terrible pour la sensibilité, la matière », avait averti Artaud dans Le Pèse-Nerfs. Et cela advint dans les lettres sur l’air si peu innocent d’« on ne peut plus ne pas savoir ». Car c’est un principe moral, après Auschwitz, qui s’est institué en vertu esthétique, faisant la chasse à l’image (haut fait surréaliste) dans la hantise de la figure perçue comme totalitaire. Bien des pans de la poésie française, mais aussi de la narration, ont été immergés par cette vague, ce reflux du « sujet » dans l’apurement de la langue, en une écriture dite « blanche ». Les positions antilyriques qui s’en nourrirent restent d’autant plus problématiques dans la saisie d’un hypothétique sens commun qu’elles se sont privées dans le même temps de tout pouvoir dans l’épopée, dans la relation de l’existence.

Phénoménologue, Jean-Luc Nancy pour sa part n’en met pas moins sur la voie de cet élément commun, constitutif de l’art qui adresse autrui à travers l’histoire d’un être qui se raconte. Dès lors, à condition de sortir de l’idée même de « communauté négative », de ce legs des années 1970-80, il ne serait donc plus tout à fait interdit de percevoir l’art comme une histoire qui s’invente, puisqu’on peut y relier directement, sans « grille » ni filtre a priori formel et moral, l’expérience sensible de l’extériorité absolue d’autrui et du monde.

Ce sont tous ces angles de perception que La vie manifeste à sa façon foisonnante s’emploie à faire jouer sur son polyèdre, à la fois radio et support numérique tissé d’entretiens philosophiques, politiques, de théâtre et de danse, actes et textes de création, comme autant de faces expérimentales.

En écoutant la dernière partie de l’entretien avec Jean-Luc Nancy sur « le politique », on aura à l’esprit que les lieux publics de la cité tendent moins ces jours-ci à figurer une sombre machinerie destinale, comme si les places, les allées et esplanades empruntaient quelque apparat d’urbanité aux discours politiques de circonstance. À ceux du moins qui creusent un peu, sous les filets rhétoriques, jusqu’à trouver la trame, l’organisation sociale (éducation, santé, travail...), ceux encore, les mêmes, qui essaient de s’élever, faisant mine d’englober dans leur diversité les comportements sociétaux d’ordinaire voués à la caricature ou aux canaux de la vie privée.

De la sorte, on se déclarera envers et contre tout d’une communauté avouable.

La vie manifeste (ici).

La Communauté inavouable, de Maurice Blanchot (1983), Les éditions de Minuit (voir ici).

Jean-Luc Nancy (sur la notion de communautarisme en sociologie, en dialogue avec la pensée de Nancy, on se reportera ici).

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