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Billet de blog 19 mai 2008

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Festif et courtois : le Forum des langues du monde de Toulouse

Alors que l'ONU a proclamé 2008 année internationale des langues, le Forum des langues du monde de Toulouse s'apprête à illustrer, comme chaque année depuis 1992, de façon festive et courtoise, sa défense de l'égalité culturelle de toutes les langues du monde.

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Alors que l'ONU a proclamé 2008 année internationale des langues, le Forum des langues du monde de Toulouse s'apprête à illustrer, comme chaque année depuis 1992, de façon festive et courtoise, sa défense de l'égalité culturelle de toutes les langues du monde.

Cette année, la Capitada ("réussite", en occitan) rassemblera place du Capitole, le samedi 31 mai, conteurs, chanteurs, musiciens, poètes, danseurs, et autres slammeurs et magiciens, au gré des nombreux stands d'associations représentant quelque 120 langues parlées dans le monde. Le dimanche 1er juin, le Forum des langues du monde débattra de la proposition initiée par Henri Meschonnic d'une Déclaration universelle des devoirs envers les langues et le langage.

Ce "Forom" des langues du monde a vu le jour à l'instigation de Claude Sicre. C'est la contribution "toulousaine, occitane et française", inspirée de la pensée de Félix Castan, à une réflexion nationale et internationale sur les conditions généralisées d'une véritable expression culturelle plurielle.

Émanant du légendaire "pays de Cocagne", l'intérêt de cette démarche est précisément qu'elle se défend de toute visée "régionaliste", que justifierait une opposition naturelle aux États-nations historiquement constitués. C'est que ses principaux instigateurs savent distinguer entre les raisons présidant à la constitution d'entités politiques forcément abstraites et la réalité prometteuse du foisonnement des communautés culturelles ou linguistico-culturelles. Toutes idées qu'il s'agit ensuite d'orienter selon une pensée d'ensemble qui dise un rapport possible au monde, contrevenant aux schémas dualistes de pensée issus des modèles occidentaux : mondialisation, humanitarisme ou anti-mondialisme.

Si le "Forom" de Toulouse mérite que l'on porte une attention toute particulière aux projets et débats qu'il nourrit, cela tient aussi à la qualité du dialogue qui s'est instauré durant ses quinze éditions entre nombre de ses participants. Ainsi cette proposition de "Déclaration universelle des devoirs envers les langues et le langage" émane-t-elle du poète, traducteur et théoricien du langage, Henri Meschonnic. Conçue en réponse aux tentatives de reconnaissance en matière de droits linguistiques ou à la diversité culturelle déjà initiées auprès d'instances officielles (États, Unesco, Nations unies...), elle vise à clarifier les enjeux éthiques, politiques et linguistico-culturels qu'impliquent de telles démarches.

Cette proposition de Déclaration universelle se veut le laboratoire à ciel ouvert d'une véritable réflexion "sur les rôles, les activités et les forces du langage dans toutes les pratiques sociales", impliquant conjointement le langage, l'éthique, le politique, l'art.

Située en tant que discours, elle doit pleinement s'inscrire selon ses instigateurs en complément de la Déclaration universelle des droits de l'homme "parce que ce qui fait la force" de cette dernière, "à savoir qu'elle ne considère que des individus pris isolément de leurs diverses appartenances (ethniques, linguistiques, sociales, religieuses) pour les traiter à égalité sur le plan de l'éthique et du droit, est aussi ce qui fait sa faiblesse : elle ne peut pas agir sur les droits collectifs (constitués par des langues et des cultures au sens fort)".

Pour autant, il ne s'agit nullement de se laisser enfermer dans une approche strictement institutionnelle et juridique qui aurait pour effet de figer les langues et les cultures comme autant de chefs-d'œuvre en péril. C'est précisément ce qui est dénoncé dans le texte de la Déclaration universelle des droits linguistiques issue de la Conférence mondiale des droits de Barcelone, en 1996, où les langues et les cultures, réifiées, prennent une valeur programmatique identitaire de nationalismes régionalistes implicites. Le "Forom" de Toulouse invite donc à débattre ensemble sur le nouveau projet de "Déclaration" dont il est porteur linguistes, historiens, hommes politiques et hauts fonctionnaires, poètes et écrivains, juristes et avocats, français et étrangers.

Il serait par ailleurs bien malavisé de ne voir dans ces rencontres que de simples échanges démocratiques sans conséquences sur la vie politique. En effet, leurs instigateurs peuvent justement se targuer d'avoir participé à "l'inscription des langues minoritaires (langues étrangères sans statut dans leur pays d'origine : berbère, yiddish, romani, arménien, arabe dialectal) comme langues de France dans le projet de signature de la Charte européenne". Ce faisant, se portant contre les idéologies régionalistes et nationalistes, ils ne souhaitent "séparer d'aucune de leurs cultures" "les langues indigènes de France" : "Partant de notre conception que tous les Français doivent être enseignés quant aux troubadours occitans – sans l'étude desquels on ne peut rien comprendre à la poésie française –, à l'histoire de la Corse – sans l'étude de laquelle on ne comprend rien à Napoléon et à l'organisation de l'État depuis le début du xixe siècle –, à l'histoire de l'Alsace – sans l'étude de laquelle on ne peut comprendre les deux guerres mondiales, etc.) pour construire une France radicalement démocratique, radicalement républicaine et radicalement plurielle" ("Adresse aux aventuriers d'aujourd'hui").

Voilà donc comment une "certaine idée de la France", après la Déclaration universelle des droits de l'homme, se trouve promue à une universalité nouvelle.

On le comprend, c'est à une véritable révolution en action et en pensée que convie ce "Forom", tout en souhaitant apporter une réponse spécifique et à portée universelle aux problèmes mondiaux du XXIe siècle. Il est plusieurs manières de s'en convaincre et de s'en pénétrer. On peut bien sûr se rendre place du Capitole au moment où se produit la Capitada, ou participer aux nombreux débats qui se tiennent sur les places publiques. On doit aussi écouter le groupe Fabulous Trobadours, de Claude Sicre, par exemple ces "Duels de tchatche" avec son compère Enjalbert, condensés d'un "parlé vite" rap et de la tradition du dialogue courtois. Tant il y a à entendre toute une oralité de la chanson médiévale, avec ses laisses scandées par une seule assonance, propagée ici, comme la rime du poème, dans tout le chant. Et il n'y a que dans cette tradition héritée de la chanson, continuée et renouvelée, que peuvent aujourd'hui heureusement se rencontrer le calembour et la prosodie :

« Suez le burnous où c'est qu'on va/ on va verser versets saints/ vers singés rhétorique/ à la loupe tout y passer/ l'histoire de France est toute truquée » ("High tençon", Fabulous Trobadours, album on the Linha Imaginot).

(Voir aussi le n° 1 de la revue Altermed, pour un article complet sur le Forum des langues de Toulouse et des extraits de la Déclaration des devoirs d'Henri Meschonnic, éditions Non Lieu.)

Pour tout contact "Forom": David Brunel, carrefourculturel@arnaud-bernard.net