Quand en 1941-42 Aimé Césaire suscite l'admiration des surréalistes avec le Cahier d'un retour au pays natal, il partage leur vibrant émerveillement d'exilés pour la poésie d'Amérique avec un autre poète, haïtien celui-ci, Clément Magloire-Saint-Aude.
D'une génération l'autre, les surréalistes ne cesseront de vouer un véritable culte à ce poète haïtien, à la destinée pourtant très dissemblable de celle d'Aimé Césaire.
On pourrait dire en effet de Magloire-Saint-Aude qu'il offre une autre face, l'envers même, de la représentation communément partagée du poète martiniquais. Du moins est-ce vrai à tout coup pour le véritable éveilleur de conscience en tant qu'homme public, dans son siècle, que fut Aimé Césaire. De ce point de vue, Magloire-Saint-Aude participe plutôt de cette absence de biographie (et d'engagement public) dont se réclamaient d'ailleurs initialement les surréalistes (avec comme modèle illustre Lautréamont), l'œuvre devant primer sur tout le reste (paix à Sainte-Beuve...). Mais rien ne dit qu'il s'agisse là d'un vœu, d'une véritable volonté personnelle, et encore moins donc d'une pensée programmatique, quelle qu'elle soit. A la rigueur, on pourrait dire de cette face « cachée », du point de vue de l'histoire littéraire, qu'elle est ce que le romantisme noir des Petrus Borel, Gérard de Nerval, est au mouvement romantique dans son ensemble, qui ne serait pas tout à fait ce qu'il est sans ces authentiques « soleils noirs ».
C'est qu'un soleil noir a vraiment hanté la vie de cet explorateur sidéré de l'espace du poème qu'est Magloire-Saint-Aude, comme dans ce dernier poème de Tabou (XIV) :
Sur ma face étoilée
Sommeille mon cœur brun-mexicain
Qui, beau-pâle,
Eteint la limite
Au duo du fossile
Dans sa jeunesse, Magloire (du nom de sa mère accolé à celui de son géniteur) Saint-Aude collabore à la principale revue de l'indigénisme, Les Griots, y côtoyant un certain Duvalier, futur grand ordonnateur des sinistres « tontons macoutes » haïtiens. Très vite, il se détourne de toute vie « mondaine », plongeant dès lors dans une existence de « sujet opaque » selon les mots si justes de Stephane Martelly. Cette opacité est sans doute faite d'alcool, de fuite de soi. Et d'une intime, tenace et cruelle désillusion. Voyez comment le poète se présente quand on le sollicite au moment de la réédition de ses poèmes en 1970, un an avant sa mort :
Né à Port-au-Prince en 1912. Pas de titre universitaire. Pas de voyages. Anti-conformiste. A tourné le dos à la « société » et vit, retiré, dans la banlieue sud de Port-au-Prince. (...) A fondé, en 1938, avec François Duvalier, l'actuel président à vie de la République, la revue Les Griots...
Reste que l'œuvre poétique de Magloire-Saint-Aude est sans égale. Son langage « tout image », entièrement métaphorique, se distingue des pratiques surréalistes de l'image, ce qu'il partage avec un seul poète, à ma connaissance, lui-même de la mouvance surréaliste, Guy Cabanel (toujours à l'œuvre, avis aux éditeurs).
Pas de dieu, pas de lieu
Où lire les merveilles
Je suis du rang
L'effet, le reflet. (Tabou, II.)
« Je suis incapable d'être l'instrument et le jouet des hommes », écrivait Toussaint-Louverture à Lavaux, le 1er juin 1798.
Quitte à mourir prématurément.
Sauf à vivre sans espoir.
Clément Magloire-Saint-Aude publiera son dernier livre de poèmes en 1956. L'année suivante, Duvalier accédait au pouvoir.
Les éditions Jean-Michel Place ont récemment republié les œuvres complètes de Clément Magloire-Saint-Aude : Dialogue de mes lampes et autres textes.