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Billet de blog 20 octobre 2010

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Pour la petite histoire (Tony Richardson)

On peut préférer la petite à la grande histoire. Ce n'est pas seulement une question de point de vue. C'est aussi préférer le cours des choses à la destinée, un cahier d'écriture, à des pages de dictionnaire moulinées, expurgées en amont pour l'aval. Pour la petite histoire donc, voici que trois films géniaux de Tony Richardson sont édités en DVD.

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On peut préférer la petite à la grande histoire. Ce n'est pas seulement une question de point de vue. C'est aussi préférer le cours des choses à la destinée, un cahier d'écriture, à des pages de dictionnaire moulinées, expurgées en amont pour l'aval. Pour la petite histoire donc, voici que trois films géniaux de Tony Richardson sont édités en DVD.

Bien que natif d'outre-Manche, ce Tony-là n'a vraiment rien à voir avec celui qui a tout fait pour confondre, d'amont en aval, sa droite et sa gauche (pour rouler à droite of course). Son étoile a beau avoir pâli à Hollywood, avant cela elle avait brillé des mille feux de beauté de la rage. Ceux de la petite histoire. Et on se moque un peu de ses retombées plus ou moins heureuses dans le grand fleuve de la gloire.

Du moins, parce qu'avant cela, elle a su se rendre visible et mémorable. Comme en ces trois films campés dans les Midlands de Tony Richardson (1926-1991) : Look Back in Anger (« Les Corps sauvages », 1958), A Taste of Honey (« Un goût de miel », 1961) et The Loneliness of the long Distance Runner (« La Solitude du coureur de fond », 1962).

Avec la petite histoire, ce qu'il y a de bien aussi, c'est qu'on se passe de petite musique. On s'y époumone, on y hurle à la cantonade ses sentiments et ses opinions. Bien sûr, cette rage vient de loin, comme dans Look Back in Anger. Mais ce n'est jamais, contrairement aux apparences, le jeu d'un seul. C'est une adresse aux proches, et une révolte qui s'exerce à l'encontre de ceux qui, de par leur comportement exclusif en société, ne seront jamais des proches.

Car dans ces films de Richardson, l'existence s'endure, et déjà dans le premier cercle des connaissances, surtout les plus intimes. Pas la moindre repartie d'un personnage qui ne s'éprouve physiquement, même lâchée sur le ton de la confidence. Ainsi du coureur de fond qui avoue que ses tentatives de fuite, d'échappée se sont toujours heurtées au monde, et qui se retourne en bout de course contre ceux-là mêmes qui avaient cru le dompter. Ainsi du personnage principal de Look Back in Anger qui, aux yeux de sa compagne, est tout droit sorti de la Révolution française, et pour qui la lumière ne jaillira qu'au bout du tunnel d'une relation amoureuse rompant avec tous les usages.

Cette beauté et cette force si singulières de la « petite histoire » tiennent peut-être, contrairement aux légendes dorées (réécrites), à ce que s'y profile toujours l'impossibilité de se fuir. Impossibilité de se fuir, soi. Mais pas l'autre.

Précisément, tout le défi de ce cinéma, de ce Free cinema de Richardson, est là. Dans ce renversement qu'il opère : rien moins qu'aimable, complaisant ou fuyant, le cinéaste va jusqu'à puiser dans les autres les accents les plus personnels, qui font que l'on s'y attache plus sûrement qu'à l'ombre de soi-même.

Et si la rencontre de proches est à ce prix, c'est parce que les personnages ne cessent de se heurter en toute lucidité aux quatre murs de l'autre théâtre, celui fait pour durer, d'un simulacre de société, dont l'injustice de classe, et le racisme notamment, n'en sont pas moins inlassablement dénoncés.

Un demi-siècle plus tard, force est de constater que cette écume de rage existentielle de la première période cinématographique de Tony Richardson n'est pas près de se tarir.

P.-S. Je n'ai pas revu récemment A Taste of Honey (cela ne saurait tarder), seulement Look Back in Anger et The Loneliness of the long Distance Runner. Ce dernier film (adapté d'une nouvelle d'Alan Sillitoe) surtout pour Tom Courtenay, qui en est l'acteur principal. Dans Look Back in Anger (adapté d'une pièce de John Osborne), j'ai aussi été saisi par la violence toute « galloise » de Richard Burton qui rappelle dans ce film, entouré par deux splendides actrices (Claire Bloom et Mary Ure), le grand lecteur qu'il fut de son compatriote, le poète Dylan Thomas.

Les trois DVD sont édités par Doriane films (voir sur ce site une présentation très complète de cet éclaireur du Free cinema que fut Tony Richardson – d'autres réalisateurs britanniques en prolongeront ensuite la veine sociale).