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Billet de blog 25 septembre 2010

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Le mode d'être élastique

Il y a un siècle, aux temps troubles de la modernité, le poète Blaise Cendrars a inventé le poème élastique. Aucun autre qualificatif n'est sans doute mieux approprié au mode d'être, de présence à la vie qu'instaure aujourd'hui l'internet.

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Il y a un siècle, aux temps troubles de la modernité, le poète Blaise Cendrars a inventé le poème élastique. Aucun autre qualificatif n'est sans doute mieux approprié au mode d'être, de présence à la vie qu'instaure aujourd'hui l'internet.

Pour Cendrars, poète voyageur, il s'agit (car c'est un acte) alors d'embrasser le « monde entier ». Les vers de son poème s'étirent à la ligne, au point qu'on le lit comme on dévale une colline, comme on dégringole les marches d'un immeuble, au point qu'on peut même s'élancer de ces marches, enjambant d'un coup, d'un seul, les rambardes et les seuils où nous attendront désormais, fidèles vigies, les ombres de ce que nous fûmes, ou de ceux que l'on vit partir (pour nous).

C'est cette même image mais inversée que l'on trouve dans l'article d'Elodie Berthaud sur les vestiges du camp d'enfermement tsigane de Montreuil-Bellay, qu'elle montre surgissant comme « des marches qui se lancent dans le vide ».

Car l'Histoire est toujours postée sur le seuil de la mémoire qui, pour filer la métaphore, n'a rien à voir avec la pratique du saut à l'élastique. Ou alors n'y figurent que de tristes pantins, suspendus dans le vide, qui n'ont d'autre réel que celui « dur à étreindre » (Rimbaud), pour s'y disloquer à chaque fois et à jamais, au choix par oubli ou par « connerie » (Céline, à propos de lui-même).

De cet autre côté du miroir, où l'on se tient aujourd'hui, l'internet essaime, anamorphose. Notre présence physique s'y trouve comme démembrée, mais pas disloquée, juste étirée, soumise à des flux d'informations, de relations, incessants, diffus. Cette nouvelle conquête sur le temps et l'espace est loin d'être seulement imaginaire, symbolique, « sociétale-comportementale », elle induit des pratiques, des changements radicaux dans les modes d'être, de nouvelles réalités sociales.

Chaque jour qui passe est désormais marqué d'une coche. C'est dire qu'on n'oubliera rien, que l'on a encore tout à apprendre des êtres élastiques que nous sommes devenus.