Patrice Beray
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Billet de blog 26 novembre 2008

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Quatre mariages et un enterrement par Hauts-Fonds

Dans le film à succès de Mike Newell, Four Weddings and a Funeral (sorti en 1994), une scène avait particulièrement ému, celle de l'enterrement, où était déclamé sur la tombe du disparu un poème de W. A. Auden. L'air ne faisant pas la chanson, on peut enfin se réjouir d'en lire une traduction seyante grâce aux toutes nouvelles éditions Hauts-Fonds, qui m'ont autorisé à la reproduire.

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Dans le film à succès de Mike Newell, Four Weddings and a Funeral (sorti en 1994), une scène avait particulièrement ému, celle de l'enterrement, où était déclamé sur la tombe du disparu un poème de W. A. Auden. L'air ne faisant pas la chanson, on peut enfin se réjouir d'en lire une traduction seyante grâce aux toutes nouvelles éditions Hauts-Fonds, qui m'ont autorisé à la reproduire.

Dans un opuscule intitulé On achève bien Auden, Jean-Yves Le Disez se propose ni plus ni moins d'illustrer ce nouvel art de la traduction qu'est la traductologie, en intelligence avec les travaux pionniers d'Antoine Berman.

Extirpant le concept d'interprétation des limbes où l'avait plongé le structuralisme, il n'en soumet pas moins à la question (intersubjective) la sempiternelle question du «sens» de l'énoncé, qui, surtout en poésie, ne saurait être une fin en soi.

En quelques pages virtuoses, Jean-Yves Le Disez pousse l'audace démonstrative jusqu'à littéralement enterrer la traduction qui fut donnée à la va-vite du poème d'Auden après le succès considérable rencontré par le film de Newell. Que cette publication fût alors l'œuvre d'un des éditeurs parmi les plus respectables et admirables (Christian Bourgois) en dit long, selon ce subtil traductologue, du peu de cas en lequel est tenue généralement la traduction.

On ne peut que se réjouir de la nouvelle traduction de ce poème, parfois intitulé «Funeral Blues». Ecrit par Auden en 1936, il fait partie de ces «œuvres de jeunesse» sur lesquelles le poète a longtemps jeté un interdit (de lecture), au grand désarroi, notamment, de son fidèle ami, le romancier Frédéric Prokosch.

Voici la traduction de Jean-Yves Le Disez :

Arrêtez les pendules, coupez le téléphone,

Donnez un os au chien, qu'il cesse d'aboyer ;

Faites taire les pianos ; au son sourd du tambour,

Faites sortir le cercueil, faites venir le cortège.

Que tournent dans le ciel des avions en pleurs ;

Qu'ils y griffonnent les mots IL EST MORT.

Qu'on mette des nœuds de crêpe au cou blanc des pigeons ;

Des gants de coton noir aux agents de police.

Il était mon nord, mon sud, mon est et mon ouest,

Ma semaine, mon travail, mon dimanche, mon repos,

Mon midi, mon minuit, mon dire, mon chant ;

Je croyais que l'amour était pour toujours : j'avais tort.

A quoi bon les étoiles à présent ? Eteignez-les toutes !

La lune, qu'on la remballe ! Qu'on décroche le soleil !

Videz-moi l'océan ! Déblayez-moi ces arbres !

Car rien de bon jamais ne peut plus arriver.

Ce coup de maître des éditions Hauts-Fonds inaugure une des deux collections projetées par l'éditeur, celle accueillant Jean-Yves Le Disez étant plutôt dédiée aux courts essais, dite joliment «porte-voix».

L'autre collection, également fondatrice, en accueillant principalement des livres de poèmes, en dit long sur les vœux formés au grand large par les éditions Hauts-Fonds.

CruciFiction d'Alain Le Saux, rassemblant des poèmes écrits de 1989 à 2002, l'inaugure en traçant une voie nerveuse. Il est peu de dire que cette publication est précieuse, sans prix, au sens propre du mot, tant l'écriture de ce poète est très à part dans le concert contemporain. Comme nul autre, il sait rendre névralgique la syntaxe d'un poème. Elle se fait illico saisissante, palpitante, comme échappant du corps de ce texte que tout prédestine dans l'histoire de la poésie à être embaumé, à la façon dont Artaud annonçait dans Le Pèse-Nerfs : «La Grille est un moment terrible pour la sensibilité, la matière.»

Il ne restait qu'une lampe ouverte

qu'une main allumée dans un quart de ciel

Fenêtres fermées Vie retenue

au bout des lèvres

Nonchalance des fumeurs

Romance âcre albums somnambules carnets injustes

Il menait ce geste par le poing

Tressaillant incarnat Nous sommes

Je suis de ce nerf De lueur et de douleur

Comme un bonheur ne vient jamais seul (et même deux), les éditions Hauts-Fonds annoncent deux autres belles promesses en un nom brandi pour le printemps 2009 avec la publication de deux titres de Guy Cabanel.

Scandaleusement ignoré par les censément notoires collections de poche des éditeurs de la place, ce poète fut tenu, au même titre que Gracq, Mandiargues, Mansour, Blanchard, Duprey, Luca, dans les années 70-80, comme une voix majeure et singulière.

Mais on y reviendra en temps voulu, comme au premier temps : «Un oiseau qui se pose en vaut cent qui s'envolent» (Supervielle).

Les Hauts-Fonds, pour toute information, écrire au 22 de la rue Kérivin, 29200 Brest (mais on peut commander les ouvrages en librairie) :

CruciFiction, d'Alain Le Saux, 12 euros (100 p.).

On achève bien Auden – de l'interprétation à la traduction, de Jean-Yves Le Disez, 8 euros (24 p.).

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