Patrice Beray (avatar)

Patrice Beray

Journaliste, auteur

Journaliste à Mediapart

180 Billets

1 Éditions

Billet de blog 28 avril 2011

Patrice Beray (avatar)

Patrice Beray

Journaliste, auteur

Journaliste à Mediapart

L'attente n'a pas de visage (Oelze)

Pour le meilleur et pour le pire, heureuse ou anxieuse, l'attente est un état indéfini qui témoigne exemplairement, de quelque côté qu'on le prenne, de la force, de la prévalence de l'expérience sensible dans l'existence.

Patrice Beray (avatar)

Patrice Beray

Journaliste, auteur

Journaliste à Mediapart

Pour le meilleur et pour le pire, heureuse ou anxieuse, l'attente est un état indéfini qui témoigne exemplairement, de quelque côté qu'on le prenne, de la force, de la prévalence de l'expérience sensible dans l'existence.

Déjà, de par l'étendue, la gamme variée de sentiments qu'elle recouvre, on perçoit bien qu'elle file d'un pôle à l'autre, qu'elle passe de part en part à travers les êtres, comme seuls peuvent le faire des états qui relèvent de l'expérience sensible, c'est-à-dire qui échappent par un surcroît de sens et des sens aux visées conceptuelles.

Illustration 1
« L'attente » de Richard Oelze

Signe de cet infini sensible, l'attente est tournée vers les êtres tout autant qu'elle peut l'être vers les choses, le monde. Et tout comme elle se dérobe à la clôture conceptuelle par l'indécision même de son objet, sa temporalité n'a de profondeur que d'être prospective.

Avec l'attente, nous sommes sur le seuil et l'instant lui-même, qui doit paraître, n'a pas eu lieu. L'attente n'a pas de visage. Et l'instant fait temps y succombe près de l'émerveillement ou de l'épouvante.

Ainsi, de ce tableau de Richard Oelze sur lequel Marcel Brion a choisi de conclure son ouvrage sur L'Art fantastique. Cette peinture de 1936 appartient à sa période surréaliste, durant laquelle Oelze s'opposa de tout son art au régime nazi. Bien sûr, l'on y vit une « préfiguration » angoissée, dénonciatrice des tragédies collectives, historiques qui allaient (immanquablement) advenir.

Et il est vrai que cette toile est fascinante résorbant la tension humaine à un spectacle naturel dans la représentation de ce groupe de personnages massés devant un paysage qui les absorbe plus qu'ils ne le contemplent. Ceux qui se retournent ont les traits effacés, révélant que les ressorts d'une dramaturgie sont déjà enclenchés. « Peut-être les hommes auront-ils cette attitude-là, le jour de la fin du monde ? », suggère Marcel Brion (L'Art fantastique, Albin Michel, 1989).

S'offrant collectivement au regard dans cette scène, les personnages, hommes, femmes, tous si parfaitement apprêtés, paraissent au sommet de l'attente. Elle a déployé tous ses artifices : pas un, pourtant, qui ne nous soit inconnu.