Il y a longtemps que je n’avais pas écouté une allocution présidentielle télévisée. Si, un peu les vœux du 31 décembre, mais j’avais rapidement décroché d’un discours qui, dans mon souvenir, était d’une grande vacuité. Là, le sujet est grave, précis, et sans échappatoire : l’orateur ne pouvait se contenter de généralités grandiloquentes puisqu’il fallait bien annoncer des mesures. Mais j’ai eu le sentiment d’un homme politique sans réel pouvoir de décision, pris dans des mécanismes le dépassant complètement. Je tiens à préciser d’emblée que je n’ai aucune animosité particulière contre ce président, étant persuadé que n’importe quel élu s’enfoncerait peu ou prou dans les mêmes ornières. Je voudrais relever ici cinq éléments de langage qui m’ont frappé, par ce qu’ils révèlent, au-delà d’un immense pouvoir administratif, de l’impuissance politique contemporaine.
Des arguments dérisoires pour annoncer le durcissement des mesures de confinement. Figurez-vous que c’était une très bonne idée d’envoyer quarante-millions d’électeurs dans les bureaux de vote, des dizaines de milliers d’assesseurs passer la journée à recevoir le public, puis la soirée ensemble à dépouiller les bulletins ; par contre, c’était une honte nationale que quelques centaines de badauds parisiens (intramuros) aillent se promener dans les parcs au vu et au su du président et de son Premier ministre. Sérieusement ?
Son incapacité à assumer des erreurs politiques, ou au moins à accepter de s’en justifier. À commencer donc par le maintien des municipales, tellement discutable que le second tour doit (et peut) être reporté ; les discours à géométrie variable depuis le début de cette épidémie, de la relativisation à l’emballement brutal ; ces derniers mois, la loi d’airain de l’austérité budgétaire opposée, entre autres, aux revendications insistantes des personnels hospitaliers, soudainement caduque. L’infaillibilité présidentielle, nouveau dogme républicain ?
Les confusions verbales. Parler de « guerre » pour désigner la situation actuelle me parait grave. Là aussi, aucune justification, un discours sur le mode disque rayé, comme si répéter suffisait à convaincre. Qui s’agit-il de combattre ? Les malades, les porteurs sains, les porteurs potentiels ? Avec quelles armes ? Si on emploie le terme de « guerre » à propos du traitement d’une épidémie, comment parler aux Syriens, du moins celles et ceux qui parviennent à nous depuis leur pays ravagé par une guerre, une vraie ? Pourquoi abuser ainsi du sens des mots ?
L’infantilisation de ses auditeurs. De Gaulle pouvait peut-être se permettre de jouer le père de la nation, j’ai trouvé Macron plutôt ridicule en maitre d’école à l’ancienne prenant sa grosse voix pour réprimander des garnements indociles. Plus ennuyeux, la réduction de la politique à la mise en place de mesures sanitaires, au respect contraint de comportements prescrits à force de messages assénés à tout va, façon publicité commerciale. Les citoyens sont sommés « d’accepter les contraintes » (non, les décisions d’un gouvernement), de « se les appliquer à eux-mêmes » (être son propre policier). L’administration des choses a remplacé le gouvernement des hommes, et je ne crois pas que Saint-Simon ou Engels y trouverait leur compte : c’est nous les choses, et c’est Macron l’administrateur en chef. Nous voilà aux antipodes d’un projet républicain fondé sur l’émancipation des citoyens.
L’invocation de l’expertise scientifique médicale. Là aussi, il l’a répété à plusieurs reprises, en arguments d’autorité : les experts sont formels, et savent ce qu’il faut faire pour sauver des vies. Je ne sais pas vous, moi j’ai plutôt l’impression que le blocage en cours de l’économie mondiale, de toute vie sociale, est un immense saut dans le vide, très au-delà de questions de disponibilités de matériel d’assistance respiratoire. La vie ordinaire de centaines de millions d’êtres humains est bouleversée par des restrictions aux libertés jamais vues, le système financier menace de s’effondrer, le cout économique sera extrêmement lourd pour les finances publiques : et le président décide après avoir consulté dix médecins, quelques conseillers et son Premier ministre qui a vu du monde à des terrasses ?
La politique, c’est proposer des perspectives à court et à long terme, choisir parmi des possibles, et assumer ses choix, en vertu de principes, de convictions. Macron, mais c’est manifestement vrai de ses homologues de tous les autres pays, fait penser au pilote d’un avion incontrôlable, qui a décidé de s’arrêter en plein vol pour ne pas tomber. La nouvelle est d’importance pour celles et ceux qui ont les pieds sur terre, qui travaillent dans le monde réel, loin des sphères des experts débordés : il va falloir nous organiser par nous-mêmes sur une planète bouleversée par des apprentis sorciers qui ne maitrisent plus rien.
Patrice Bride