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Billet de blog 25 février 2020

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Le droit d’asile, au risque de la peine de mort: un dilemme de juriste

À propos de « Le chemin des morts », de François Sureau (Gallimard, 2013).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce livre constitue un récit de travail au sens plein du terme, et dans un milieu où il est rare, me semble-t-il, d’exposer ainsi les dilemmes de son activité : la haute fonction publique. Le narrateur revient sur ses premières expériences professionnelles à la sortie de l’ENA. L’écriture est fine, distinguée même. L’auteur saisit en quelques mots une scène de la vie parisienne, évoque délicatement ses souvenirs de rejeton brillant de l’élite intellectuelle en quête d’un destin, dresse avec considération le portrait de ses maitres, magistrats chenus, héros de la Résistance, bâtisseurs dévoués de la Ve République. La narration est remarquablement maitrisée, prenant le temps de distiller les éléments, tenant le crescendo jusqu’au dénouement, tardif et fatal. Celui-ci se cristallise en un instant précis, en plein travail du jeune juriste, rapporteur à la commission de recours des réfugiés : lors d’une audience, au moment de rendre la décision de justice. Elle est ici binaire : l’asile ou l’exil. Elle concerne un militant de l’ETA, rangé des voitures depuis quelques années, mais tout de même impliqué dans un attentat dans la période franquiste, et qui risque des représailles s’il est renvoyé outre Pyrénées. L’expert disant le droit se focalise sur la rationalité juridique, c’est son métier. L’asile protège, dans ce monde du début des années 1980, encore dans la Guerre froide, des ressortissants menacés dans leurs libertés fondamentales par leur propre État. En l’occurrence, le danger est réel, mais seulement du fait de barbouzes rancuniers, dans une Espagne devenue démocratique, gouvernée par un parti proche du président français. Si la situation juridique semble claire, le jeune énarque n’est pas pourtant tranquille face au militant politique endurci, digne, déterminé à refuser l’humiliation d’un retour à la clandestinité : le droit, certes, mais les considérations humaines ?

Illustration 1

Je ne sais pas si les formateurs en matière juridique recourent à l’analyse de pratiques professionnelles. Ils auraient avec ce récit une très belle étude de cas, pour saisir l’intrication de tous les facteurs pesants sur un délibéré : les subtilités du droit ; les facteurs politiques, diplomatiques en l’occurrence ; les enjeux relationnels, entre les juges, les assesseurs, le requérant ; et puis les aléas du quotidien, quand le temps nécessaire à l’étude d’un dossier est soumis aux imprévus d’une vie de jeune Parisien, de rencontres dans un bar. Ils pourraient commenter longuement la dynamique conversationnelle d’une audience où des mots malheureux, qui auraient pu ne pas être prononcés, peuvent faire basculer une décision, conforter des hésitations. Dans ce texte, pas de commentaires, pas d’argumentation échevelée, seulement l’enchainement de faits et de gestes, de paroles et du discours intérieur, avec la gravité du vivant : quand la mort d’un homme, puisque le militant basque sera effectivement froidement abattu dans une rue de Pampelune, sonnera la fin d’une certaine innocence juvénile pour un autre.

Chacun de nous travaille au quotidien en s’appuyant sur une expérience professionnelle qui se sédimente au cours des années. Mais certaines situations sont plus vivaces que d’autres. Celle que l’auteur nous expose ici l’a marqué à jamais, l’a suivi d’audience en audience dans sa vie d’avocat. Il avait besoin de nous la raconter. Son récit nous donne à penser.

Patrice Bride

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